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s’inquiétait de l’exacte transmission des ordres ? Les plus grandes opérations pourraient être compromises par une négligence de l’état-major. Une dépêche oubliée serait la perte de la France.

Au reste, on était sûr que des caractères militaires tels que celui de Ney se remontreraient invulnérables sous le canon. Les soldats le saluaient familièrement du surnom de Rongeât lorsqu’il passait devant les rangs ; ils oubliaient à sa vue leurs défiances, leurs ombrages, ils se sentaient invincibles. Lobau et lui avaient à conserver leur vieille renommée, Vandamme à relever la sienne, tous à sauver leurs noms mêmes, sans parler de leurs têtes proscrites d’avance. Kellermann, négligé pendant la bonne fortune, avait enfin expié Marengo ; on lui avait pardonné d’avoir partagé un moment une gloire qui ne devait pas avoir de rivale. Dans l’adversité, on s’était souvenu de lai ; heureuse occasion pour un tel homme de se montrer au-dessus de l’injustice et de recommencer la dernière heure de Marengo ! Malgré sa renommée, il ne commande, comme un simple divisionnaire, qu’un petit corps de huit régimens de grosse cavalerie ; mais il sait qu’un plus petit nombre suffit quelquefois pour décider à propos la fortune dans une grande journée.

D’autres, tels que le maréchal Grouchy, ont à justifier la faveur récente dont ils ont été l’objet ; d’autres enfin, tels que le général Foy, le général Gérard, sont désignés par le respect de l’armée et par le choix encore secret de Napoléon à devenir les jeunes maréchaux d’empire ; mais le sentiment de la patrie, au bord du gouffre, laisse à peine une place à l’ambition permise dans les temps glorieux ou assurés.


IX. — LA BELGIQUE AU POINT DE VUE STRATÉGIQUE. — CANTONNEMENS ANGLAIS ET PRUSSIENS.


Le terrain sur lequel les armées vont se rencontrer se divise de lui-même en trois parties : au nord, des plaines unies, défendues par la Lys, par l’Escaut, ou plutôt une vaste plage, des terres basses facilement inondées, et, si l’on avance plus loin, les fleuves sinueux, les bras de mer qui enlacent la Hollande ; au midi, sur la droite de la Meuse, un pays montueux, difficile, coupé de ravins, de bois, qui s’élève jusqu’aux Ardennes ; au centre, en face de Charleroi, des plateaux d’abord unis, bientôt ondulés, que couvre à peine la Sambre, et par-delà ses bords marécageux, des routes nombreuses qui toutes aboutissent à Bruxelles, la capitale des Pays-Bas. Cette zone intermédiaire entre l’Escaut et la Meuse a presque toujours été le grand chemin suivi par les armées dans les guerres de Louis XIV et de la révolution française. Ni la nature ni l’art n’opposent presque