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mieux valu laisser les frontières vides, sans un seul homme, et tout concentrer dans l’armée d’opération. Cette censure est excessive et mal fondée, car ces faibles corps, revêtus de grands noms, firent assez longtemps illusion à l’ennemi, qui sans cette précaution n’eût pas manqué de se jeter dès le premier jour sur le territoire français. Les faibles divisions de Rapp, de Lecourbe, de Suchet, de Clausel, étaient des têtes d’armées destinées à grossir à mesure que les levées se feraient et que la conscription rendrait ce que l’on devait en attendre. Elles donnaient un point d’appui à l’esprit public, elles prêtèrent. de la consistance aux bataillons de gardes nationales qui devaient les rejoindre dans les places-frontières, et raisonnablement pouvait-on moins faire que d’opposer 49,000 hommes aux 800,000 ennemis qui s’avançaient à marches forcées contre la France dans la direction de l’est, du sud, de l’ouest ? Ce peu d’hommes seront, il est vrai, hors d’état de repousser la nouvelle invasion de barbares ; mais ils suffiront pour en retarder les approches.

Ces précautions prises. Napoléon se décide à se jeter à l’improviste, avec ce qui lui reste de forces, sur les armées qui étaient le plus près de lui : c’était l’armée anglaise et l’armée prussienne, toutes deux cantonnées en Belgique. Elles appartenaient aux peuples qui avaient montré aux Français le plus de haine, qui leur avaient fait le plus de mal en 1814. Ainsi la fortune ou le choix du chef mettait les Français en face de ceux qu’ils étaient le plus impatiens de rencontrer sur un champ de bataille.

L’armée anglaise en Belgique était forte de 105,950 hommes[1], y compris 9,000 hommes de réserve hanovrienne, laissés dans les garnisons d’Anvers et des villes de Flandre.

On y comptait 82,062 fantassins, 14,482 cavaliers, 8,166 artilleurs, 1,240 soldats du génie. Elle était divisée en deux corps : le premier de quarante bataillons, vingt-trois escadrons, sous le prince d’Orange ; le second de trente-huit bataillons, douze escadrons, sous le lieutenant-général lord Hill. La réserve générale était, pour l’infanterie, de 23,748 hommes, sous la main du duc de Wellington, pour la cavalerie, de 9,913 cavaliers, d’aussi bons qu’il y eût au monde, sous lord Uxbridge. L’artillerie, répartie entre les

  1. On varie beaucoup sur l’évaluation précise de cette armée. Napoléon dit 104,200 combattans, Jomini 99,900, V. Damitz, 100,000 le colonel Charras 95,503, van Loben Sels 91,000. Le chiffre que je donne ici, eu y comprenant la réserve hanovrienne que le duc de Wellington aurait pu attirer à lui, revient à celui que présente le colonel Charras, d’accord avec les dépêches du duc de Wellington et avec les documens officiels contenus dans les archives du ministère de la guerre des Pays-Bas. C’est aussi l’évaluation fournie par l’historien anglais Siborne. Quant au chiffre si inférieur de 91,000 donné par van Lùben Sels, la différence provient de ce que cet historien hollandais, si exact, si consciencieux, n’a pas compté l’effectif de l’artillerie, du génie et du grand parc ; au reste, il en avertit clairement de manière à empêcher toute erreur.