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LE PAVÉ.

Durand, la prenant par le bras avec violence et la faisant rentrer.

Laisse-le partir ! De quoi te mêles-tu ? Quand je te débarrasse d’un bavard et d’un menteur dont la sotte langue te déshonorait !…

Louise.

Il ne l’a pas fait à mauvaise intention, monsieur. Vous voyez bien qu’il a perdu la tête ! Pauvre garçon ! Il vous servait bien, il vous aimait. Sa simplicité vous divertissait plus souvent qu’elle ne vous impatientait… Vous le regretterez, monsieur ! Et qui sait si vous ne vous reprocherez pas…

Durand.

Qu’est-ce que j’aurai à me reprocher ? Voyons ! tes regrets ? Ils sont donc bien grands ?

Louise.

Il ne s’agit pas de moi, monsieur ! Je ne vous parle jamais de moi, je ne vous ai jamais rien demandé pour moi !… Mais pour vous-même ne dois-je pas… N’est-ce pas bien sévère de renvoyer un bon sujet qui vous sert avec franchise depuis dix ans,… depuis son enfance, pour une seule faute, pour un petit mensonge qui ne vous fait aucun tort, et dont moi seule aurais le droit de me fâcher ?

Durand.

Ainsi tu le lui pardonnes ? On peut être insolent avec toi…

Louise.

Il ne l’a jamais été.

Durand.

Ce n’est pas la dernière des impertinences de se vanter de ton affection ?

Louise.

C’est selon comme il en parle. Il ne sait guère s’expliquer. S’il vous a dit que je l’aimais de grande amitié, il n’a pas menti. N’avons-nous pas été élevés ensemble, sous vos yeux, par la bonne Rosalie ? Ne dois-je pas le regarder comme mon frère ?

Durand.

Non ! car je ne le considère pas comme mon fils. Il est trop au-dessous de toi par l’intelligence.

Louise.

Bah ! l’esprit !… C’est une belle chose, je n’en disconviens pas ; mais ça n’est pas tout : la bonté vaut encore mieux, et je n’oublierai jamais que, quand tous les autres enfans de mon âge me repoussaient en me traitant de champie, les pauvres enfans, sans savoir ce qu’ils disaient et croyant me faire une grande honte, il y en avait un qui me consolait et me protégeait toujours, et celui-là, c’était Jean ! Jean tout seul, pas d’autre que lui !