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LA QUESTION ROMAINE.

mis, pour concilier tant bien que mal deux vocations d’un ordre si différent et deux natures d’intérêts qui peuvent être si divergentes. Il est malheureusement certain que dans ces compromis l’intérêt véritablement religieux est celui auquel ont été imposés les plus grands sacrifices.

Parmi ces sacrifices, le plus important est celui qui a resserré dans les bornes de l’Italie le personnel où la papauté se recrute. Quoi de plus contraire qu’un tel fait au génie cosmopolite du catholicisme ? Quoi de plus antipathique à la nature d’un pontificat alimenté par l’inspiration divine que de tracer à cette inspiration des limites et de la contraindre à ne trouver ses élus qu’au sein d’une seule nation, la nation italienne ? Ainsi l’a voulu pourtant la nécessité politique, et telle est la condition que l’intérêt du pouvoir temporel a imposée au génie et à l’intérêt catholiques. Le chef d’une principauté italienne ne pouvait décemment être un étranger : il a fallu en conséquence que le chef de l’église universelle fût un Italien. Nous savons bien que l’exclusion qui ferme la papauté aux candidats étrangers à l’Italie n’est point formulée en loi. Elle n’est pas une loi, mais elle est un fait : c’est la pratique des trois derniers siècles. Cette pratique est née au moment où le pouvoir temporel a été véritablement constitué, et ce qui prouve qu’elle est une des charges que les nécessités du pouvoir temporel font porter à l’église, c’est qu’on ne s’en est pas départi une seule fois depuis trois cents ans, et qu’elle a régné jusqu’à ce jour. On a imaginé un correctif à cette pratique ; mais ce correctif n’est qu’une nouvelle servitude infligée à l’intérêt religieux, et c’est encore la liberté de l’église qui en a fait les frais. Le pape était Italien, le pape était souverain d’un état ; la raison politique a dit que ce prince, investi d’une double autorité, enclavé dans le système politique d’une région particulière, pourrait bien avoir des vues et des desseins capables de troubler la paix des autres états et des autres princes. L’on a donc trouvé naturel et légitime que les autres princes et les autres états catholiques intervinssent dans l’élection des papes en exerçant une fois par conclave le droit de veto ou d’exclusion. Ainsi les élus du Saint-Esprit, par cela seul qu’ils sont devenus chefs d’un pouvoir temporel, ont été obligés de soumettre au contrôle des autres pouvoirs temporels la liberté du Saint-Esprit dans l’élection des papes. Conçoit-on une concession plus répugnante à l’indépendance de l’église, plus humiliante pour la liberté religieuse, plus sacrilège, dirait-on, si l’on se croyait autorisé à parler au nom de la foi catholique ?

Voilà le pontificat suprême du catholicisme affaibli et restreint dans son origine et son essence par les exigences du pouvoir temporel. Après la papauté, il n’y a pas dans l’église d’institution plus