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posée à appliquer une de ces règles de l’administration européenne qu’elle sait si bien pratiquer quand elle y trouve son intérêt ou son plaisir : la règle de l’égalité entre tous les contribuables. Quant à M. Novikov, il n’espère pas plus que ses collègues que les chrétiens de Syrie puissent désormais être indemnisés de leurs pertes; il songe seulement à la réparation particulière qu’il faudra obtenir pour les établissemens religieux indigènes, pour les consulats et les consuls étrangers, enfin pour les nationalisés qui ont souffert dans leurs personnes ou dans leurs biens. Il semble renoncer à l’action collective qui vient de si mal réussir entre les mains de la commission internationale, pour rentrer dans l’action particulière que la Russie a toujours préférée dans ses rapports avec l’empire ottoman.

D’où venait donc cette impuissance de la commission internationale, que tout le monde sentait dans ses dernières séances, et qui faisait un si grand contraste avec l’allure ferme et décidée qu’avaient dans le commencement les commissaires européens? Je vois en effet que, le 9 janvier 1861, M. Béclard se plaint que le nouveau gouverneur de Damas, Emin-Pacha, ait exclu du conseil provincial Salih-Agha-Mohayeni, « homme considérable par sa position et son caractère, et qui, pendant les événemens de Damas, avait recueilli chez lui un grand nombre de chrétiens. » Abro-Effendi commence par dire, selon son habitude, « qu’il ne possède aucune information sur les faits rapportés par M. Béclard ; mais il conteste dès à présent à la commission le droit de critiquer l’autorité locale sur ses actes administratifs... M. Béclard répond que, pour son compte, il n’admet pas qu’aucune restriction puisse être apportée à l’exercice des droits dont la commission est investie. Jusqu’à ce que la Syrie soit réorganisée, Fuad-Pacha est armé de pouvoirs sans limites, et la commission de son côté a sur tous les actes de l’autorité, pendant cette période de transition, un droit de censure dont M. le commissaire de France croit devoir user dans cette circonstance[1]. » Il est possible que M. Béclard exagérât quelque peu, en parlant ainsi, les droits de la commission ; mais cette exagération même témoignait du sentiment de leur pouvoir qu’avaient encore les commissaires européens au mois de janvier 1861, et qu’ils n’avaient plus dans leurs dernières séances de mars. A quoi tient ce changement? J’en ai déjà indiqué une cause. Les rivalités et les dissentimens s’étaient manifestés. Fuad-Pacha, redevenu Turc de Syrien qu’il avait été tenté d’être un instant, s’était servi habilement de ces divisions pour anéantir peu à peu l’autorité de la commission, renvoyer à Constantinople la décision de tout, et regagner

  1. Dix-huitième séance de la commission de Beyrouth, p. 378, n° 288.