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château s’y rend, les autres visitent les plus favorisés. Cette révolution remarquable dans les habitudes est le meilleur emprunt fait à notre pays ; elle a été préparée par les écrits de Jean-Jacques Rousseau. Le duc de Liancourt, devant présider l’assemblée de l’élection de Clermont, se rendit à la ville pour plusieurs jours et m’invita au dîner de l’assemblée, où se trouvaient plusieurs agriculteurs en renom. Ces assemblées, proposées depuis si longtemps par les grands patriotes français et reprises par M. Necker, m’intéressaient au plus haut point. J’acceptai l’invitation avec plaisir. Il s’y trouvait trois grands cultivateurs, non pas propriétaires, mais fermiers. J’examinai avec attention leur attitude en présence d’un seigneur du premier rang ; à ma grande satisfaction, ils s’en tirèrent avec un mélange d’aisance et de réserve fort convenable, d’un air ni trop dégagé ni trop obséquieux, exprimant leur opinion librement et modérément, à la manière anglaise. »

Les procès-verbaux de l’assemblée du Soissonnais ne présentent rien de particulier, ils ne se distinguent que par de nombreux détails sur les travaux des routes. Le département de l’Aisne est aujourd’hui le troisième de France pour l’étendue de ses voies de communication ; il ne le cède qu’à la Seine-Inférieure et au Pas-de-Calais. Cette supériorité date de loin. Six routes royales traversaient la généralité en 1787, la plupart arrivées dans toute leur longueur à l’état d’entretien. Sept routes de seconde classe ou de province à province, six de troisième classe ou d’une élection à une autre, douze de quatrième classe, servant à rallier entre elles les trois premières, étaient aussi presque complètement terminées. Sur un total d’environ 1,100 kilomètres, 200 seulement restaient à achever. De toutes parts cependant on en demandait de nouvelles, et l’assemblée provinciale se mettait en mesure d’y satisfaire. Une loi nouvelle sur les chemins avait été préparée par le gouvernement, mais pour n’être définitivement promulguée qu’en 1789 ; en attendant, les assemblées provinciales étaient invitées à faire connaître leur opinion sur le projet. Le bureau des travaux publics de l’assemblée du Soissonnais fit à cette occasion un rapport remarquable ; le nom du rapporteur n’est pas indiqué, mais comme le duc de Liancourt présidait le bureau, il a dû exercer sur la rédaction une influence décisive. Ce rapport mérite d’autant plus l’attention qu’il développe tout un ordre d’idées assez peu en faveur aujourd’hui, et qui était alors tout à fait conforme aux idées du gouvernement, la décentralisation aussi complète que possible des travaux des chemins.

Le projet de loi posait en principe, par application des règles générales de l’économie politique, qu’une localité quelconque ne devait concourir aux frais d’une route qu’en proportion de l’intérêt