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voit ainsi par quelles séries de découvertes chimiques on est arrivé à se rendre un compte précis des transformations auxquelles une plante doit ses premières évolutions, transformations qui sont absolument les mêmes que celles du laboratoire, et qui ne résultent d’aucune action spéciale à la vie du végétal.

C’est à des actions analogues exercées par le suc gastrique et par tous les liquides de l’économie animale qu’il faut rapporter l’acte par lequel les matières alimentaires sont dissoutes dans l’appareil de la digestion et peuvent être absorbées par ses parois. Les célèbres expériences que Spallanzani et Rumford faisaient dans le siècle passé pour réaliser la digestion artificielle le prouvent surabondamment, et il ne leur manque pour être complètes que d’être reprises avec les ressources actuelles de la chimie. C’est encore à la même cause qu’il faut attribuer la production du sucre dans le foie d’un animal, suivant la belle découverte de M. Claude Bernard.

Nous venons d’assister à la transformation successive de l’amidon en dextrine et en sucre de raisin : nous pouvons maintenant suivre ce dernier corps dans les modifications analogues qu’il éprouve à son tour par des causes pareilles. Le glucose peut être considéré comme formé par de l’alcool et de l’acide carbonique, de sorte que, si on lui enlevait ce dernier corps, on produirait le premier, l’alcool. Or c’est précisément ce qui arrive quand le jus du raisin fermente et que le vin se fait, et c’est aussi ce que l’on peut réaliser en mettant le glucose pur en contact avec la levûre de bière. Il semble donc que la levure transforme le sucre, comme la diastase transforme l’amidon, par un simple effet de contact. On a soutenu cette thèse, mais elle n’est point exacte, et les travaux de M. Pasteur ont dévoilé, comme on va le voir, la véritable cause de la fermentation.

La levûre de bière, le ferment, est un amas de petits êtres organisés, vivans, constitués par des globules naissant au contact les uns des autres, se développant jusqu’à devenir adultes et donnant naissance à des êtres semblables à eux. Ainsi dans la bière le ferment est un monde tout entier. À l’origine de l’opération, ce monde est peu nombreux ; mais, chaque individu se reproduisant, le nombre total des êtres augmente indéfiniment. Cependant, pour que des êtres puissent se développer et multiplier, il faut qu’ils trouvent dans le milieu où ils vivent les alimens nécessaires pour constituer leur propre substance. Ceux qui nous occupent sont formés de principes azotés, de matières minérales, de cellulose et de graisse. Or les principes azotés et minéraux n’existent point dans le sucre ; aussi le ferment qu’on y met ne s’y multiplie pas, et les individus qui naissent ne se nourrissent que de la substance de ceux qui meurent ; mais en y ajoutant de l’ammoniaque et des phosphates, M. Pasteur a vu ces êtres se régénérer avec une extrême fécondité et absorber