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lac à l’époque des inondations. Malgré l’énorme évaporation qui agit sur cette vaste étendue, les eaux du Manytch sont encore assez abondantes pour s’échapper du lac Sasta et se séparer en trois branches. L’une va s’évaporer à l’est, dans les mares en chapelet d’une aride vallée ; mais les deux autres se réunissent pour former le lac de Kôkô-Ussun, et coulent vers les salines de Modchar sous le nom de Machtuk-Gol. Près du dépôt des salines, le fleuve se divise de nouveau : un bras se dirige à l’est vers le golfe de Beloserk, qu’il n’atteint pas : un autre coule au sud-est et dans la direction du Kouma ; enfin le Houïdouk ou bras du milieu, plus important que les deux autres, se change pendant l’été en une longue ligne de mares espacées de distance en distance jusqu’aux dunes qui bordent la Caspienne. N’est-il pas vraiment prodigieux que, dans son voyage de nivellement à travers les steppes de la dépression du Manytch, M. Hommaire de Hell n’ait point vu tous ces affluens de la Caspienne ? N’est-il pas plus étonnant encore qu’il ait indiqué la position du seuil des deux mers à plus de 100 kilomètres de sa position vraie, qu’il ait fait du Manytch oriental la source du Manytch occidental et complètement ignoré la bifurcation du Kalaous ? Et quelle foi peut-on ajouter aux résultats d’un nivellement qui comporte de pareilles erreurs géographiques ? Sans répéter ici les accusations que MM. de Baer et Bergstraesser portent contre M. Hommaire de Hell, nous dirons seulement que Humboldt n’a pas eu besoin de parcourir les steppes du Manytch et de faire des opérations géodésiques pour pressentir la véritable topographie de l’isthme : dans son excellent livre de l’Asie centrale, il parle de la bifurcation du Kalaous comme d’un fait probable.

Un fleuve qui se sépare en tant de branches, qui s’épand en de si vastes bassins lacustres soumis à une forte évaporation, qui fournit une mare insalubre à chaque ravin latéral et déverse le restant de ses eaux dans quelques rigoles d’irrigation, pourrait sans doute devenir une voie navigable, si la masse en était contenue par un seul lit. D’ailleurs un document retrouvé prouve que cette voie existait encore au milieu du XVIIe siècle. À cette époque, les Cosaques du Don, accourant en foule auprès de leur compatriote Stenko Rasin, qui avait levé l’étendard de la révolte, se rendirent en barques dans la Caspienne par la dépression du Manytch. Lorsque Stenko Rasin voulut retourner dans sa patrie, il tint conseil pour savoir sur quel cours d’eau il s’embarquerait, le Manytch ou le Volga. S’il fit remonter ce dernier fleuve à ses bateaux, ce fut dans l’espérance de mieux approvisionner sa flottille et de pouvoir, en passant, faire demander sa grâce au tsar. Le canal des deux mers a donc cessé d’exister depuis deux siècles seulement, grâce à quelque bifurcation du Manytch ou à son épanchement dans un lac. Serait-il donc impossible