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tion en comparant les manuscrits grecs, latins, arabes, l’immense privilège d’avoir étudié le sol même où depuis Strabon les fleuves Araxe et Kour ont promené leurs lits. Grâce à un examen approfondi des plaines alluviales où l’on peut suivre encore le large sillon abandonné par l’Araxe, il a pu tracer une carte de l’ancien cours, et raconter l’histoire de ce fleuve, transformé de nos jours en simple tributaire. À l’époque de Strabon, l’Araxe coulait, comme aujourd’hui, dans la direction du nord-est jusqu’à une quarantaine de kilomètres du Kour ; mais en aval des montagnes appelées Karabag, il se détournait à droite et se dirigeait au sud-est vers la mer. Au coude même, des canaux d’irrigation prenaient les eaux du fleuve pour aller fertiliser au nord les campagnes de la vallée du Kour, situées à plusieurs mètres au-dessous du niveau de l’Araxe. Celui-ci n’avait plus alors qu’à suivre sa propre pente pour élargir un des canaux d’irrigation et déverser dans le Kour d’abord une partie, puis la masse entière de ses eaux. Tous les fleuves qui traversent des plaines alluviales ne sont-ils pas de nature erratique et ne changent-ils pas incessamment de lit ? Le Tigre et l’Euphrate, dont les embouchures étaient autrefois éloignées d’une journée de marche, se confondent aujourd’hui dans le Chat-el-Arab ; le Pô et l’Adige unissent leurs eaux par un réseau de rivières paresseuses ; en Amérique, la Rivière-Rouge, naguère fleuve indépendant, n’est qu’un simple affluent du grand Mississipi ; dans la Chine, on a vu de nos jours le Hoang-ho abandonner en partie sa principale embouchure et s’en former une autre à 350 kilomètres plus au nord. Et pour ne pas sortir de la dépression aralo-Caspienne, plusieurs savans, parni lesquels Humboldt se place au premier rang, ne considèrent-ils pas comme un fait acquis à la science l’existence d’un ancien lit de l’Oxus dirigé vers la Mer-Caspienne ? Aujourd’hui l’Oxus ou Amu-Deria se jette dans l’Aral, à 600 kilomètres au nord-est de son antique embouchure présumée.

Les fleuves tributaires de la Caspienne ne se contentent pas d’empiéter constamment sur la mer par leurs deltas, ils empiètent aussi sur leur rive droite, et se déplacent sans relâche en abandonnant leurs alluvions à la rive gauche. Ce fait, souvent constaté par les géologues et connu de tout temps par les habitans de la Russie, est un des plus importans de l’hydrologie Caspienne, puisqu’il entraîne le remaniement graduel de toute la surface des steppes par les eaux douces, la formation de nouveaux deltas et de nouvelles passes, l’obstruction des anciennes embouchures. Ainsi toutes les bouches orientales de l’Oural se dessèchent graduellement, tandis que de nouveaux bras se creusent à droite du côté de l’ouest. De même toutes les anciennes branches du Terek, qui formaient la continuation naturelle de son cours vers le nord-est, sont aujourd’hui des-