Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Caspienne. Les dimensions de ces coquillages, toujours proportionnelles à la quantité de sel contenue dans les eaux qu’ils peuplaient, doivent indiquer la salure des anciennes mers, et donner ainsi un point de comparaison. Or les coquilles qu’on ramasse dans le voisinage du lac d’Elton, à plus de 350 kilomètres du rivage actuel de la mer, sont aussi grosses que celles des mollusques vivant de nos jours en pleine mer, à 100 kilomètres de l’embouchure du Volga. Près d’Astrakhan, où les eaux de la mer, mélangées à celles du fleuve, devaient être comparativement douces, les coquillages laissés par le retrait de la mer indiquent un degré de salure semblable à celui des eaux du cap Tchuk-Karaghan et du bassin central lui-même. Bien plus, dans les environs de Bakou, sur les flancs des collines qui dominent les flots, on recueille au milieu des rochers des coquilles de mollusques beaucoup plus fortes que celles des mollusques de même espèce nageant aujourd’hui dans la mer à quelques dizaines de mètres plus bas. Ce fait suffirait à lui seul pour créer une forte présomption en faveur de l’hypothèse de M. de Baer sur la décroissance de la salure dans les eaux de la Caspienne[1].

Mais comment cette décroissance est-elle possible ? comment le sel apporté par les fleuves et les ruisseaux des steppes peut-il sortir du vaste bassin qui l’a reçu, se séparer de l’eau marine avec laquelle il s’est mélangé ? Rien de plus simple : par le mouvement régulier de ses flots, la mer crée sur une grande partie de ses rivages des lagunes où elle enferme ses eaux pour les saturer lentement de sel, et maintenir ainsi sa pureté relative. Devant chaque baie de la Caspienne, l’action des vagues enracine d’abord deux langues de sable aux deux pointes qui gardent l’entrée, puis elle prolonge graduellement ces deux levées et rapproche l’une de l’autre leurs deux extrémités libres, de manière à leur faire décrire un grand arc de cercle dont la convexité est tournée vers le rivage. En même temps elle les élève au-dessus du niveau ordinaire des eaux, et, après une période de temps plus ou moins longue, la mer ne communique plus avec l’intérieur de la lagune que par un étroit canal. L’évaporation, très active dans ces parages qu’avoisine le brûlant désert, fait constamment baisser le niveau des bassins, et l’eau de mer, chargée de sel, doit affluer sans relâche pour rétablir l’équilibre ; il se forme ainsi de véritables magasins de sel incessamment enrichis par l’apport des eaux marines. Lorsque, après de fortes tempêtes ou de longues sécheresses, le détroit qui faisait communiquer la mer et la lagune vient enfin à se fermer, la nappe d’eau, complètement isolée, diminue rapidement de superficie ou même se laisse boire

  1. La Mer-Noire, avec laquelle la Caspienne communiquait autrefois par la vallée du Manytch, renferme proportionnellement deux fois plus de sel.