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s’écria-t-il ; ah ! la plaisanterie est vraiment excellente ! — Je ne plaisante pas, repris-je en sentant les pleurs déborder de mes yeux, le malheur que je viens vous annoncer n’est que trop réel ; j’ai commis un crime. — Mais alors, dit le commissaire de police en prenant tout à coup un maintien sévère, c’est à l’officier public et non à l’ami que vous vous adressez ; quelle est cette femme ? Comment l’avez-vous tuée ? Est-ce à l’aide d’un instrument contondant ? — Non, c’est avec le collier. — Quel collier ? C’est donc par mode de strangulation ? » Il appela son secrétaire, ceignit son écharpe, envoya chercher deux agens de police entre lesquels il me fit placer, et nous nous rendîmes ainsi à ma maison. La honte m’étouffait ; ah ! si la terre avait pu m’engloutir !

Nous pénétrâmes dans ma chambre ; en voyant sur le lit Henriette morte et encore crispée par les dernières convulsions, le commissaire s’écria : « C’est donc vrai ! » Puis, approchant d’elle, il voulut détacher le collier en disant : « Je saisis cette pièce de conviction. » Un nouvel accès de fureur s’empara de moi, je me jetai sur le commissaire en lui criant : « N’y touchez pas ! » Ses hommes m’arrêtèrent, me lièrent les bras, me firent asseoir sur une chaise et me gardèrent à vue. Le commissaire m’interrogeait, je répondais. Il haussait les épaules pendant que son secrétaire écrivait, et il me disait : « A qui voulez-vous faire croire de semblables sornettes ? » Je n’inventais rien cependant, et Célestrie, qui se désespérait dans mon cœur, était là pour m’affirmer que je ne mentais pas. Quand il fallut sortir, ce fut affreux ; tous les voisins remplissaient la rue ; c’est à peine si je parvins, toujours tenu par les deux agens, à traverser la foule. Chacun cherchait à me voir ; les uns me plaignaient, les autres m’accusaient. « Mais il est fou depuis la mort de sa femme ! — Bath ! c’est un vieil hypocrite ; autrefois déjà il a tué un homme en duel. — Il avait l’air doux comme un mouton. — Il aura eu un transport au cerveau. » Je baissais la tête, n’osant pas regarder autour de moi ; je souffrais cruellement de cette implacable curiosité, et je disais à Célestrie : « Tu vois, malheureuse, où tu m’as conduit ! Que t’ai-je fait, et ne t’avais-je donc pas assez aimée ? »

On me mena dans la prison, où l’on m’enferma dans une cellule, tout seul, en présence d’un crucifix en bois noir pendu contre la muraille. Je me jetai tout habillé sur le lit, et je dormis longtemps d’un sommeil lourd, sans rêve, comme on doit dormir dans la tombe. A mon réveil, j’eus beau me raconter les événemens de cette journée maudite ; je ne pus pas mieux les comprendre. J’eus une terreur indicible en pensant que sans doute Henriette allait apparaître en moi, comme jadis y avait apparu le capitaine ; mais il n’en fut rien heureusement, car je serais devenu fou. Gardienne vigilante de