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un second navire alla chercher l’eunuque dans son île et le ramena à Chalcédoine, où il fut décapité.

Son supplice avait été précédé de la publication de sa sentence, affichée dans toutes les villes et sur toutes les places ; elle était conçue en ces termes :

« Arcadius et Honorius, augustes, à Aurélien, préfet du prétoire.

« Nous réunissons aux revenus de notre trésor toutes les propriétés d’Eutrope, qui fut naguère préposé de notre chambre sacrée, l’ayant déclaré déchu de son rang et ayant purifié le consulat de la tache ignominieuse de son nom. Nous voulons en outre que tous ses actes soient abolis et que le titre de l’année soit changé. Que ceux donc qui par leur vaillance et au prix de leur sang étendent les frontières romaines, ou ceux qui les conservent en faisant régner parmi nous l’équité des lois, cessent de gémir à l’aspect du hideux prodige qui avait sali par son contact la divine récompense du consulat. Qu’ils sachent également qu’Eutrope est dépouillé de la dignité de patrice et de toutes les dignités moindres qu’il déshonorait par la cruauté de ses mœurs.

« Nous ordonnons enfin que toutes les statues et représentations quelconques qui lui ont été élevées dans les cités, villes, bourgs, lieux publics ou privés, en bronze, marbre, métaux fusibles ou toute autre matière, soient renversées, afin de ne plus offenser les regards comme une tache infamante pour notre siècle.

L’ancien consul, avant de mourir, put contempler à Chalcédoine les débris de ses bustes et de ses statues, car la flatterie avait su les multiplier dans une ville qui n’était pour ainsi dire qu’un faubourg de Constantinople.

La place laissée vacante par Eutrope avait été aussitôt remplie, on devine par qui, et de ce jour datait, dans l’histoire d’Arcadius, le ministère, si l’on peut ainsi parler, de la nobilissime impératrice Eudoxie. En même temps qu’elle ressaisissait dans l’intérieur du palais son autorité perdue, Eudoxie s’emparait de la direction souveraine de l’état ; elle faisait nommer consul le préfet du prétoire Aurélien, principal juge d’Eutrope, et donnait à son mari pour intendant des largesses le comte Jean, son amant. Son règne fut naturellement celui de la coterie qui avait comploté avec elle le renversement de l’eunuque : Castricia, Eugraphia, Marcia, devinrent les membres d’un gouvernement de gynécée, qui, pour n’être pas officiel, ne fut pas moins puissant que l’autre. Quoique déjà très riches par la fortune de leurs maris, ces trois femmes se livrèrent à toute sorte de rapines et souvent de violences pour entretenir leur luxe ou leur galanterie. L’impératrice, qui ne voyait que par les yeux de ses favorites, se laissa entraîner à des actes qui lui firent perdre beaucoup de sa popularité. Elle porta d’ailleurs dans le règlement des affaires publiques les tendances outrées de sa nature ;