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au-dessus des besoins et des misères terrestres ; il lui devait sa grandeur et sa vertu, et pourtant elle ne lui suffisait pas. Il avait besoin des hommes pour leur faire admirer cette vertu et leur imposer cette grandeur, il lui fallait le monde pour le dominer. Simple jusqu’à la pauvreté, sobre jusqu’à défier les plus rigides anachorètes, désintéressé jusqu’à livrer au premier indigent venu sa maigre table et son vêtement, Chrysostome avait l’orgueil de sa vertu comme il avait celui de son génie, et devant ces deux orgueils disparaissaient trop souvent l’indulgence et les ménagemens nécessaires à l’accomplissement du bien. Sa volonté était impérieuse et prompte, son action inclinait presque toujours à la violence ; un tempérament dans les choses graves l’offusquait comme une trahison au devoir, tandis que ses séquestrations volontaires et son amour de la solitude le privaient des leçons de l’expérience et des conseils souvent sensés du monde.

Par un effet de son caractère sauvage, qui lui faisait fuir les grands et les riches, il s’était pris d’une ardente tendresse pour les classes misérables du peuple, et cette préférence revêtait parfois la couleur d’une envie secrète contre les heureux de la terre. Il fut accusé près de l’empereur d’exciter les pauvres contre les riches, et ces excès de charité dans une ville telle que Constantinople, où se réunissait la lie de l’Orient, pouvaient n’être pas sans péril. Cinq siècles plus tôt, il eût été au forum un compagnon de Gracchus prêchant la loi agraire sous l’inviolabilité du tribunat ; au quatrième siècle et sous l’inviolabilité de l’épiscopat, il ne fut ni moins hardi dans ses systèmes, ni moins opiniâtre dans ses luttes, ni moins puissant à la tête d’une multitude qui fut pour lui comme une armée. C’était d’ailleurs un bizarre spectacle que cet homme au corps chétif, au teint jaune et d’apparence maladive, à la tête dépouillée de cheveux, qui semblait n’avoir qu’un souffle de vie et venait soulever en présence de l’empereur et de la cour les questions sociales les plus redoutables. Le contraste n’était pas moindre entre la véhémence de ses idées et cette éloquence asiatique, à périodes cadencées, un peu molle, dont il fut à son époque le plus parfait modèle ; mais lorsqu’il parlait, sa tête et son corps semblaient s’illuminer, et de ses yeux, dont on pouvait à peine supporter l’éclat, rayonnait au dehors le feu sacré de son génie, ce feu dont la trace est restée vivante dans les siècles.

Son entrée en fonction fut une véritable révolution qui engloba tout le régime épiscopal et toute la discipline de son église. Nectaire, ancien questeur de Constantinople, resté homme du monde dans l’épiscopat, entretenait, autant par raison que par goût, un grand train de maison, et recevait avec une large hospitalité les grands de