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cinq ou six petites nationalités distinctes, ces mots de privilèges, de dons gratuits, qui exprimaient de vieilles prétentions usées par le temps, cette diversité extrême d’institutions entre la Bretagne et le Languedoc, la Bourgogne et la Provence, membres désormais inséparables du même tout, le choquaient autant qu’un autre. Toutefois il n’oubliait pas que ces différences tenaient à d’anciens engagemens contractés par la couronne, et que les provinces, en se réunissant, avaient fait leurs conditions ; il savait que les mœurs, les traditions, les préjugés locaux attachaient un grand prix à la conservation de ces antiques formes, quand même elles n’étaient plus que des apparences, et il se gardait bien d’y toucher d’autorité. Il attendait que la persuasion de l’exemple amenât les populations elles-mêmes à comparer leurs gothiques privilèges avec la nouvelle organisation. Tant que les pays d’états n’avaient eu devant eux que l’arbitraire illimité des pays d’élection, on comprenait sans peine qu’ils eussent préféré leurs propres lois ; en présence des nouvelles administrations provinciales, ils devaient finir tôt ou tard par changer d’avis. Turgot avait exprimé la même espérance dans son mémoire. Necker ne partageait pas d’ailleurs, tout en désirant l’homogénéité nationale, cette passion d’uniformité à tout prix qui est devenue un des caractères les plus violens de la révolution. « Il y a, écrivait Montesquieu trente ans auparavant, de certaines idées d’uniformité qui saisissent quelquefois les grands esprits, mais qui frappent infailliblement les petits : les mêmes lois dans l’état, la même religion dans toutes ses parties ; mais lorsque les citoyens suivent les lois, qu’importe qu’ils suivent la même ? »

La plus tenace de ces constitutions provinciales et en même temps la plus différente du type adopté par Necker était celle de la Bretagne. La forme péninsulaire de cette province, reléguée à l’une des extrémités du territoire, y maintenait un esprit particulier d’indépendance. La noblesse du pays, obstinée à rester chez elle, partageait la manière de vivre du peuple des campagnes. Il n’y avait pas, à proprement parler, de tiers-état, excepté à Rennes, à Nantes et dans quelques autres villes moins importantes. Cette constitution sociale se réfléchissait dans les états : le tiers n’y comptait que quarante-huit membres, représentans des villes, car la bourgeoisie rurale n’existait pas ; le clergé était représenté par neuf évêques et quarante-deux abbés, et ce qui donnait à la province son caractère distinctif, tous les gentilshommes sans exception, au nombre de treize cents, avaient droit de présence et de vote. Ainsi constitués, les états de Bretagne étaient sans comparaison ceux qui avaient conservé l’autonomie la plus effective. Si l’aspect tumultueux des séances rappelait quelquefois les fameuses diètes polonaises, la condition générale de la province, une des plus peuplées et des plus florissantes