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être mariée réellement qu’un an plus tard, au mois de décembre 1697, et qu’elle dût vivre quelques années encore, jusqu’en 1699, séparée de son jeune mari. Du premier coup elle fit la conquête du grand roi, et cette impression d’enchantement est passée tout entière dans une lettre que Louis XIV écrivait le soir même à Mme de Maintenon, lettre où il peint sa nouvelle petite-fille, et où il se peint lui-même naïvement préoccupé du dehors, de l’extérieur, de l’effet. Il la décrit un peu comme un homme qui vient de recevoir un oiseau rare, ou, mieux encore, comme un vieillard désaccoutumé de la jeunesse : « Je l’ai montrée de temps en temps à ceux qui s’approchaient, dit-il, et je l’ai considérée de toutes manières… Elle a la meilleure grâce et la plus belle taille que j’ai jamais vues, habillée à peindre et coiffée de même ; des yeux très vifs et très beaux, des paupières noires et admirables, le teint fort uni, blanc et rouge comme on peut le désirer ; les plus beaux cheveux blonds que l’on puisse voir, et en grande quantité. Elle est maigre comme il convient à son âge ; la bouche fort vermeille, les lèvres grosses, les dents blanches, longues et mal rangées… Elle parle peu, au moins à ce que j’ai vu, n’est point embarrassée qu’on la regarde, comme une personne qui a vu du monde. Elle fait mal la révérence et d’un air un peu italien. Elle a quelque chose d’une Italienne dans le visage, mais elle plaît, et je l’ai vu dans les yeux de tout le monde. Pour moi, j’en suis tout à fait content ;… je la trouve à souhait et serais fâché qu’elle fût plus belle… » Ce qui frappe surtout Louis XIV dans le premier moment, c’est que la jeune duchesse ne manque à rien et tient sa place à merveille. Simple, naturelle et aisée, ainsi cette petite personne faisait son entrée dans un monde si nouveau, se prêtant à tout pour réussir, ayant le don de plaire, mais gardant toujours le sentiment de sa race et cette originalité italienne qui était un charme de plus.

C’était comme une fleur transplantée de cette petite cour de Turin qui se modelait de loin sur la cour de Versailles, mais qui ne laissait point d’avoir elle-même son originalité dans le monde de ce temps. Quoique tout imprégnées de l’influence de la France et formées à la galanterie, les mœurs y gardaient je ne sais quoi de fruste et d’un peu provincial. Là vivait une noblesse qui nourrissait l’orgueil du sang plus qu’à Versailles peut-être, qui affectait les façons françaises, qui parlait notre langue, mais qui, selon le mot d’un écrivain italien, était bien loin d’avoir cette affabilité, cet air dégagé et courtois, cette vivacité de caractère de la noblesse française. Il y avait dans cette nature piémontaise de la gravité, de la rudesse, de la sagacité mêlée de défiance, et une forte saveur de terroir. C’était une noblesse qui vivait des armes et de la politique où elle était passée