Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit aujourd’hui florissant et fournisse de traductions son ami Thomas d’Aquin. Ainsi cet Aristote dont on fait l’incarnation de toute sagesse humaine, et qu’on prétend mettre d’accord avec la sagesse divine, on ne le connaît pas ! Connaît-on mieux la sagesse divine elle-même, l’antiquité sacrée ? Pas davantage. Et pourquoi cela ? C’est qu’on ne sait pas plus l’hébreu que le grec.

Parmi les textes sacrés, les uns sont mal traduits, les autres font absolument défaut : il nous manque deux livres des Machabées ; nous n’avons plus les écrits d’Origène, de saint Basile, de saint Grégoire de Nazianze. D’un autre côté, les livres saints sont pleins d’obscurités, et saint Jérôme lui-même ne les a pas toujours bien compris. Que faut-il faire ? Au lieu de défigurer la Bible de plus en plus, et de la mettre en méchans vers dont on charge la mémoire des enfans, il faut instituer dans les écoles une étude sérieuse de la grammaire et des langues. Et quand on aura formé des lecteurs capables d’entendre les textes, il faudra se mettre en quête de découvrir les monumens que nous avons perdus. Pourquoi les prélats et les riches n’enverraient-ils pas des savans en Italie et dans l’Orient pour y recueillir des manuscrits grecs ? Pourquoi ne pas imiter le saint évêque de Lincoln, Robert Grosse-Tête, qui a chargé à grands frais nombre de personnes instruites d’aller à la recherche des monumens de l’antiquité profane et de l’antiquité sacrée ? Ne serait-ce pas là un digne objet de la sollicitude du saint-siège ? Les infidèles à convertir par des missionnaires qui parleraient leur langue, l’église grecque à réconcilier, quelle magnifique perspective, sans parler des avantages de cette connaissance des langues pour le commerce et l’amitié des nations ! Il faut donc introduire dans l’éducation commune les quatre langues philosophiques, c’est-à-dire le grec, l’hébreu, l’arabe et le chaldéen. C’est de là que sont venues toutes les sciences ; voilà les ancêtres dont nous sommes les fils et les héritiers. Dieu donne la sagesse à qui il lui plaît ; il ne lui a pas convenu de la donner aux Latins, et la philosophie n’a été achevée que trois fois depuis le commencement du monde : chez les Hébreux, chez les Grecs et chez les Arabes[1].

Qui parle de la sorte ? qui célèbre avec cet enthousiasme et cette véhémence l’étude de la langue grecque et des langues orientales, l’épuration des monumens, la critique des textes fondée sur une philologie exacte et sur une érudition universelle ? Ne vous sentez-vous pas transportés à l’école de Florence auprès des Médicis, dans la société de Marsile Ficin, de Pic de La Mirandole, de Politien, ou même en plein collège de France, au temps de Turnèbe et de Budé ?

  1. Opus tertium, cap. x, manuscrit de Douai.