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lettres et ami de Bacon. Avant d’entrer dans l’église, il avait passé par la guerre et par la jurisprudence. Choisi pour secrétaire par saint Louis, il devint rapidement archevêque, cardinal, puis légat du pape en Angleterre. Ce fut là qu’il entendit parler de ce moine d’Oxford dont les travaux excitaient une admiration mêlée de jalousie et de frayeur. Ne pouvant communiquer directement avec le frère, il se servit d’un ami commun, Rémond de Laon, et sut par lui que Roger préparait un grand ouvrage sur la réforme de la philosophie. Quand Roger fut exilé à Paris, Foulques lui écrivit plusieurs fois, mais inutilement ; la défense des supérieurs était absolue.

On devine quelle fut la joie du pauvre franciscain en apprenant l’exaltation de son protecteur. Il sentit l’espérance entrer dans son âme. Nous trouvons dans l’Opus tertium le contre-coup de cette allégresse : « Que béni soit Dieu, le père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui a exalté sur le trône de son royaume un prince éclairé qui veut servir les intérêts de la science ! Les prédécesseurs de votre béatitude, occupés par les affaires de l’église, harcelés par les rebelles et les tyrans, n’eurent pas le loisir de songer à la direction des études libérales ; mais, grâce à Dieu, la main droite de votre sainteté a déployé dans les airs son étendard triomphant, tiré le glaive du fourreau, plongé dans les enfers les deux partis opposés et rendu la paix à l’église. Le temps est propice aux œuvres de la sagesse[1]. »

Malgré la surveillance étroite qui l’entourait, Roger Bacon parvint à faire passer des lettres au nouveau pape ; un chevalier nommé Bonnecor se chargea de les porter et d’y joindre les explications nécessaires. Clément IV ne tarda pas à répondre ; nous avons sa lettre, Wadding, l’historien des franciscains, l’a copiée dans les archives du Vatican :

Lettre du pape Clément IV à Roger Bacon.

« A notre fils chéri le frère Roger dit Bacon, de l’ordre des frères mineurs : Nous avons reçu avec reconnaissance les lettres de votre dévotion, et nous avons pris bonne note des paroles que notre cher fils, le chevalier Bonnecor, y a ajoutées, pour les expliquer, avec autant de fidélité que de prudence. Afin que nous sachions mieux où vous en voulez venir, nous voulons et vous ordonnons, au nom de notre autorité apostolique, que, nonobstant toute injonction contraire de quelque prélat que ce soit, ou toute constitution de votre ordre, vous ayez à nous envoyer au plus vite l’ouvrage

  1. Opus tertium, cap. 2, manuscrit de Douai. On peut maintenant confronter les extraits de l’Opus tertium avec l’édition récente publiée à Londres et mentionnée plus haut.