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se sont-elles évanouies ? Le gouvernement mandchou a-t-il voulu rallier autour de lui toutes ses ressources au moment où nous nous apprêtions à venger l’offense du Peï-ho, et l’armée qui assiégeait Nankin s’est-elle affaiblie elle-même pour contribuer à la défense de la capitale ? ou bien les soldats qui la composaient, mal nourris, mal vêtus, décimés par le typhus et irrégulièrement payés, ont-ils déserté en masse le drapeau de l’empereur et abandonné leurs généraux ? C’est ce dont personne n’a pu se rendre compte au moment du grand désastre qu’il me reste à raconter et au milieu de l’affreuse confusion qui en a été la suite.

Le 9 mai 1860, Nankin ouvre ses portes et donne passage à plusieurs divisions rebelles qui attaquent les assiégeans avec furie. Prévenu à la hâte, Ho-tchoun arrive trop tard. Les lignes de Tchang-kouo-liang sont forcées, il est blessé dans l’action et prend la fuite. À Tan-yang, il rallie ses soldats et tente d’arrêter l’ennemi. Il est vaincu et s’empoisonne. Délivrés du plus redoutable adversaire qu’ils eussent encore rencontré, les rebelles brisent sans résistance les faibles obstacles que leur opposent les garnisons des places voisines ; ils reprennent en passant les villes et les positions qu’ils ont perdues en 1859, mais ne s’arrêtent nulle part et s’avancent à marches forcées vers la capitale de la province. La paisible et opulente cité de Sou-tchao était depuis longtemps l’objet des ardentes convoitises de l’insurrection ; les autorités impériales savent bien qu’elles ne lui déroberont pas une si riche proie, si elles ne réussissent à organiser une défense active et vigoureuse. Elles ont confiance dans la solidité des murailles et la fidélité des habitans, elles se concertent et se mettent à l’œuvre ; mais, en apprenant le péril qui le menace, le vice-roi du Kiang-nan, Hou-koueï-tsin, est devenu fou de terreur. Il réunit sa garde et donne l’ordre du départ ; ses officiers le supplient de ne pas abandonner la ville : leurs avis et leurs prières sont rejetés. En arrivant près de la porte de l’est, Hou-koueï-tsin y trouve une compagnie de miliciens qui la gardaient, et ordonne qu’on fasse feu sur elle afin de dégager le passage. Quelques jours après, ce misérable, à qui l’imprudence des ministres de Hienn-foung avait confié l’administration de cent millions de ses sujets, recevait à Shang-haï, où il s’était honteusement réfugié, un décret de l’empereur qui le destituait de ses fonctions et le mandait enchaîné à Pékin. On apprenait en même temps que, pendant la nuit du 2 juin, Sou-tchao était tombée entre les mains des rebelles. Les soldats mécontens les avaient eux-mêmes introduits dans la ville ; le gouverneur Su s’était ôté la vie après avoir mis le feu à son harem. Des flots de sang tartare avaient coulé.

Quinze lieues seulement séparent Sou-tchao de Shang-haï. La