Que Dieu m’en préserve ! Je ne fais que me souvenir.
Vous vous souvenez ?
De la nature,… oui ; le reste,… tout le reste,… vous ne m’avez pas laissé achever,… n’est qu’un rêve.
Les rêves ne s’accomplissent pas… dans le monde de la réalité.
Qui vous l’a dit ? Est-ce Mlle Bienaimé ? Laissez, pour l’amour de Dieu, toutes ces sentences de la sagesse mondaine aux vieilles filles de quarante-cinq ans et aux adolescens lymphatiques. La réalité !… Mais où est l’imagination la plus ardente, la plus créatrice, qui puisse égaler la réalité !… Il y a tel coquillage des mers qui est cent mille fois plus fantastique que tous les contes d’Hoffmann ! Quelle est la production du génie poétique que l’on puisse comparer… à ce chêne que voilà dans votre jardin ?
Je suis disposée à vous croire, Gorski !
Croyez-moi, le bonheur le plus infini qui prenne naissance dans l’imagination capricieuse de l’homme oisif ne peut se comparer à cette béatitude qui lui est réellement accessible,… s’il conserve seulement la santé, si le sort ne lui tient pas rigueur, si ses biens ne sont pas vendus à l’encan, et si enfin il sait bien lui-même ce qu’il veut.
Rien que cela !
Mais nous,… mais moi, je suis jeune, mes biens ne sont pas engagés…
Mais vous ne savez pas ce que vous voulez !…
Je le sais.
Eh bien ! si vous le savez, dites-le.
Volontiers, je veux que vous… (Un domestique annonce M. Vladimir Petrovitch Stanitxine.)
Je ne puis le voir en ce moment… Gorski, il me semble que je vous ai enfin compris… Recevez-le à ma place,… à ma place, entendez-vous,… puisque tout est décidé… (Elle entre dans le salon.)
Eh bien ! elle s’en va ? Quelle petite folle ! (Elle se lève et rentre également dans le salon.)