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GORSKI.

Dieu ! quelle vieillerie !

VERA.

Oui, c’est très vieux et très ennuyeux.

GORSKI.

Pourquoi donc alors l’avoir choisie ? Et quelle fantaisie de vous mettre au piano ?… Auriez-vous oublié que vous m’aviez promis d’aller au jardin avec moi ?

VERA.

Je fais précisément de la musique pour ne pas aller me promener avec vous.

GORSKI.

Et pourquoi cette rigueur soudaine ? Par quel caprice ?…

MADEMOISELLE BIEN AIMÉ.

Ce n’est pas joli ce que vous jouez là, Vera…

VERA, haut.

Je le crois bien, (A Gorski.) Écoutez, Gorski, je n’ai ni l’habitude ni le goût de la coquetterie et des caprices, je suis trop fière pour cela. Vous savez parfaitement que je ne fais pas la capricieuse en cet instant ;… mais je vous en veux…

GORSKI.

Pourquoi cela ?

VERA.

Vous m’avez offensée.

GORSKI.

Je vous ai offensée, moi !

VERA déchiffrant toujours sa sonate.

Vous auriez pu du moins mieux choisir votre confident. À peine suis-je entrée dans la salle à manger que ce monsieur,… monsieur… Comment s’appelle-t-il donc ? M. Moukhine vient me dire que ma rose était probablement arrivée à sa destination… Puis, voyant que je ne répondais pas à ses amabilités, il s’est mis tout à coup à faire votre éloge, mais d’une façon si maladroite… Pourquoi les amis sont-ils donc si maladroits dans les louanges qu’ils se donnent l’un à l’autre ? Il a pris en général des airs si mystérieux, a mis tant de discrétion dans son silence, m’a regardée avec tant de respect et de compassion… Je ne puis le souffrir.

GORSKI.

Que concluez-vous de tout cela ?

VERA.

J’en conclus que M. Moukhine… a l’honneur de recevoir vos confidences. (Elle se met à jouer très fort.)

GORSKI.

D’où vous est venue cette idée ?… Et que puis-je lui avoir dit ?

VERA.

Le sais-je ?… Que vous m’avez fait la cour, que vous vous êtes moqué de moi, que vous êtes en train de me tourner la tête, que je vous amuse. (Mademoiselle