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L’INSURRECTION CHINOISE.

patriotes[1] ; jamais ils n’ont reconnu l’autorité des Mandchoux. Ils se sont donné une forme de gouvernement et des institutions particulières auxquels ils sont restés fidèles ; ils ont lassé la constance des troupes et des généraux envoyés pour les soumettre, et ont fini par être considérés comme formant une race tellement étrangère, par ses mœurs, au reste de la population de l’empire, que les géographes chinois ont coutume de laisser en blanc sur leurs cartes les districts montagneux qu’ils habitent.

C’est dans la fidélité des Miao-tsé à la dynastie détrônée, dans leur amour de l’indépendance nationale, dans leur haine invétérée contre les dominateurs de leur pays, — et aussi dans les souvenirs que les enseignemens des jésuites et les exemples chrétiens de la cour de Jun-lié ont laissés parmi eux, — que quelques-uns de nos missionnaires croient trouver l’explication du mouvement politique et religieux dont nous étudions l’origine. Aux faits historiques que je me suis borné à résumer ici seraient venues s’ajouter d’ailleurs des informations récemment recueillies. Nos missionnaires auraient appris de divers côtés que l’insurrection avait commencé par un soulèvement partiel d’une tribu de Miao-tsé dont le roi avait une injure personnelle à venger. Un de ses amis, chef lui-même d’une riche famille de la plaine, avait été jeté dans la prison de la ville voisine, par ordre du premier magistrat, sous l’inculpation d’un crime imaginaire. Une nuit, les guerriers de la tribu descendirent dans la plaine ; ils escaladèrent les murs de la ville, brisèrent les portes de la prison, pillèrent les caisses du trésor public, et mirent à mort le juge désigné à leurs coups. Ce premier succès les enhardit. Les autorités des villes voisines n’étaient pas sur leurs gardes. Un mois s’était à peine écoulé, que huit hienn ou sous-préfectures[2] étaient tombées au pouvoir du chef miao-tsé. Il eut alors la pensée de faire partager aux autres rois de la montagne les richesses qu’il avait acquises. Il les appela auprès de lui. Une fois réunis, ces hommes tinrent conseil. Le moment leur parut favorable pour relever le drapeau politique et national des Ming. Ils décidèrent qu’ils nommeraient un empereur, appelleraient aux armes le peuple des campagnes, et marcheraient sur Pékin. Il fallait cependant à cette vaste entreprise un chef capable de dominer ces tribus, d’origine différente, par l’ascendant de l’éloquence et le prestige d’une haute mission. Le choix tomba sur un personnage qui avait encouragé les Miao-tsé à la révolte

  1. La queue tressée, cette mode tartare que les Mandchoux ont imposée aux Chinois en signe de soumission.
  2. Les provinces de la Chine sont divisées en préfectures, dépendant immédiatement des hautes autorités provinciales, et en sous-préfectures. Les préfectures portent les noms de fou, de ting-tchili ou de tchao-tchili (les ting-tchili et les tchao-tchili étant de moindre importance que les fou). Les sous-préfectures s’appellent hienn, ting ou tchao.