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réclame ni passe-droit ni faveurs ; institution nécessaire, il demande à vivre de la vie qui lui est propre. Voilà ce que nous tenions à faire ressortir et ce qui n’est pas suffisamment dégagé dans les écrits publiés jusqu’à ce jour ; cette nécessité de la libre défense est la base de la constitution du barreau, le premier mot, le point de départ de son histoire. Il n’est donc pas vrai de dire, comme on l’a toujours fait, que le barreau a pris naissance avec les premiers magistrats, car il existe partout des tribunaux, et le barreau est encore inconnu ou méconnu dans beaucoup d’états. Ainsi que le droit naturel, la défense ou le barreau ne subsiste point sur le sol ingrat et desséché du despotisme ; il n’a jamais vécu que dans la terre franche de la liberté, et les exemples que nous avons cités autorisent à dire, aussi bien pour les temps anciens que pour les temps modernes : « tel état, tel barreau. » Il importait surtout de préciser le caractère de cette institution au moment où des efforts sont tentés dans divers pays pour obtenir une meilleure organisation judiciaire. Dans les états même où la parole n’était comptée pour rien, des vœux ardens s’élèvent en faveur de la libre discussion des affaires publiques et des intérêts privés. La défense revendique ses droits. Ce mouvement est sensible en Russie, en Autriche, en Allemagne et en Prusse. Les avocats autrichiens et allemands viennent de réclamer le droit d’exercer leur profession librement, sans investiture gouvernementale. Ces symptômes sont d’un heureux augure et signalent le réveil de l’esprit public dans des contrées où la raison d’état, à des degrés divers, dominait tout, hommes et choses. C’est aux pays qui comme le nôtre ont, malgré de fréquentes secousses politiques, conservé quelques franchises, de montrer la source à laquelle le barreau a conservé le droit de puiser les siennes : or s’il est vrai que ce soit à la source toujours vive du droit naturel, cette vérité était bonne à proclamer, car le droit naturel ne dépend pas des conventions des hommes ; il ne connaît ni frontières ni limites, il est de tous les temps et de tous les pays, s’il n’est point de tous les états ni de tous les régimes.


JULES LE BERQUIER.