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lent coup de tonnerre retentit dans le sud, et on vit paraître dans les nuages, écrite en caractères de feu, la maxime suivante : « La cour céleste est le modèle de l’état. » Ils l’adoptèrent pour leur devise et l’inscrivirent sur leur drapeau.

La nouvelle société leva ouvertement alors l’étendard de la révolte. Les conjurés placèrent à leur tête, avec le titre d’empereur, un personnage du nom de Tchou-liong-tchou, qui se donnait pour le petit-fils de l’empereur Tsoung-tching, le dernier des Ming ; ils adoptèrent, pour tous les membres de la société indistinctement, la désignation de hong (puissant), empruntée probablement au nom de Hong-vou, le fondateur de cette dynastie, et, pour leur mot de ralliement, le son I, qui veut dire patriotisme ; puis ils se distribuèrent les premières dignités du nouveau gouvernement qu’ils venaient de fonder. Le quatrième jour de la neuvième lune de 1764, ils se séparèrent après être convenus de signes de reconnaissance, et se rendirent chacun dans la province qui lui était assignée pour y faire des prosélytes et y attendre le signal définitif de la révolte. Ils créèrent alors dix loges, dont chacune prit le nom d’une province de l’empire. Les cinq prêtres, Tsaï, Fang, Ma, Hu et Li, furent mis à la tête des cinq premières loges. Leurs plus anciens compagnons, les marchands de chevaux Ou, Hong, Li, Taou et Lin, devinrent les chefs des cinq dernières. Quant à Tchin-ki-nan, il retourna sur la montagne de la Cigogne-Blanche. Tels furent, suivant la croyance populaire, les commencemens de la société de la Triade. Il paraît du reste que le prosélytisme de ses fondateurs n’obtint d’abord que de faibles succès, et qu’ils surent garder fidèlement, ainsi que leurs premiers successeurs, le secret de leur association, car nous ne voyons pas, avant le commencement de ce siècle, le gouvernement se préoccuper de leur existence.

En 1801 parut une nouvelle édition du code pénal, renfermant une clause ainsi conçue : « Tous ces vagabonds qui s’assemblent, commettent des pillages et autres violences, sous le nom de Société de la Terre et du Ciel[1], seront décapités, et tous ceux qui leur prêteront appui seront étranglés. » Dans l’édition de 1810, une nouvelle clause porte des peines très sévères contre les bandits du Fo-kien et du Kouang-tong, qui ont formé une vaste conspiration et ont tenté de ressusciter la société de la Triade. En 1817, Youen-youen, gouverneur du Kouang-tong, dirige contre elle d’actives poursuites dans son gouvernement ; plus de deux mille de ses membres sont livrés à la justice. Deux ans plus tard, Vou, gouverneur du Hou-nan, signale à l’empereur la pernicieuse influence exercée par la Triade

  1. La société de la Triade (ou tout au moins certaines subdivisions de cette société) prenait aussi les noms de Tin-té-houy (société de la terre et du ciel), Hong-kia (la famille hong), Siaou-taon-houy (société du couteau).