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impulsion plus largement intelligente, en un mot par une politique nette et claire qui tracerait un cours régulier à tous les intérêts libéraux de l’Espagne.


CH. DE MAZADE.


ESSAIS ET NOTICES.

DE LA MUSIQUE RELIGIEUSE.


On a beaucoup écrit de tout temps sur la musique religieuse. Si l’art musical est celui qui a suscité les plus grandes divagations depuis Platon jusqu’à l’abbé de Lamennais[1], la musique religieuse est la partie de l’art de Palestrina et de Mozart sur laquelle on a débité les plus folles théories. Les catholiques surtout ne se sont point épargné les systèmes sur un sujet aussi important, et ils ont toujours été portés à croire que hors de leur église il n’y avait de salut ni pour les âmes ni pour les œuvres de l’esprit. Le catholicisme a tracé autour de sa sphère d’action un cercle imaginaire où il a cru enfermer le genre humain, et le fameux livre de Bossuet sur l’histoire universelle n’est pas plus faux que les principes de certains pères de l’église et de grands théologiens sur les arts qui doivent exprimer le sentiment religieux. Dès la naissance du christianisme, on voit éclater dans la lutte de saint Pierre et de saint Paul l’antagonisme de deux familles d’esprits qui se sont disputé la direction de l’église jusqu’à nos jours : les rigoureux et les tempérés, les sectaires mystiques, les jansénistes, qui se sont forgé un homme à leur image, sans entrailles et sans passions, et les politiques sensés, qui ont tenu grand compte de la nature, des temps, des mœurs, et qui se sont efforcés de bien diriger les consciences, au lieu de les étouffer. Si l’esprit qui a inspiré l’Imitation de Jésus-Christ et qui anima plus tard l’école de Port-Royal l’avait emporté dans l’église, les admirables monumens de l’art catholique n’existeraient pas. L’auteur d’une Histoire générale de la Musique religieuse récemment publiée, M. Félix Clément, fait partie de ce groupe d’ultra-catholiques modernes qui méconnaissent la grande loi du développement dans les choses humaines, et qui placent à une date arbitraire de l’histoire le complet épanouissement des forces créatrices de l’esprit humain. Comme M. de Montalembert et ceux qui partagent ses vues erronées, M. Félix Clément croit sérieusement qu’il n’y a pas de musique vraiment religieuse hors du plain-chant grégorien, qui aurait atteint au XIIIe siècle sa forme définitive, et il pense que l’âge des Raphaël et des Palestrina est une époque d’irrémédiable décadence. Ce plaidoyer curieux en faveur de l’enfance de l’art, qui serait la manifestation la plus parfaite du sentiment religieux, mérite que nous l’examinions de près.

Le chant est une partie nécessaire du culte religieux chez tous les peu-

  1. Voyez le troisième volume de son Esquisse d’une Philosophie.