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nement, et ne conféraient pas, avec une abnégation rare dans les pays libres, une sorte de dictature morale à l’homme extraordinaire qui a aujourd’hui le privilège de personnifier en lui les qualités et les défauts, les préjugés et la vigueur du patriotisme anglais.

Reconnaissons-le : c’est un bonheur singulier pour les peuples libres que de rencontrer dans leur sein ces hommes dont la prééminence est reconnue, et qui savent si bien s’identifier aux nécessités d’une situation et aux penchans de l’opinion populaire, que du consentement de tous ils sont investis d’une sorte de dictature. M. de Cavour était un homme d’état de cette trempe, et il apportait cet immense avantage à la conduite de la révolution italienne. Son habileté, ses antécédens, son prestige procuraient au gouvernement de l’Italie, dans la crise que ce pays traverse, une certaine fixité qui donnait à ce gouvernement à la fois les avantages de la liberté et ceux de la dictature, sans les inconvéniens de l’une et de l’autre. Il était l’homme de la situation, et tous ses compatriotes reconnaissaient son ascendant. Aux embarras qui naissent de l’agrégation en un seul royaume de populations qui étaient, il y a trois ans, partagées entre neuf gouvernemens, de l’anarchie des provinces napolitaines, d’une grande force militaire à organiser, de l’état de choses indéfini qui se perpétue à Rome sous la protection d’une troupe française, etc., s’ajoute donc pour l’Italie la difficulté intime de la composition même du ministère appelé à la gouverner. Il doit arriver en Italie ce qui arrive chez tous les peuples libres lorsque les hommes de la puissance de M. de Cavour font défaut, ou lorsque les partis n’y sont point encore constitués et disciplinés dans des cadres solides. Le pouvoir tente les ambitions, et elles ne reculent pas devant l’intrigue pour l’obtenir. M. Ricasoli ne saurait posséder un ascendant égal à celui de M. de Cavour; cependant son caractère, sa réputation, l’estime dont il jouit dans son pays et à l’étranger, placent, pour le moment du moins, sa personnalité au-dessus des ambitions qui peuvent convoiter le pouvoir, et qui voudraient, sans l’en exclure, le partager avec lui. Que de telles ambitions existent à Turin, on est bien forcé de se l’avouer, et c’est seulement par leur activité inquiète que l’on peut s’expliquer les bruits de crise ministérielle qui ont été systématiquement répandus en ces derniers temps dans la presse européenne. Ces bruits n’étaient pas fondés : le cabinet ne songeait point à se dissoudre; la majorité qui l’a soutenu jusqu’à la fin de la session par des votes imposans n’avait aucun désir de voir changer un ministère composé d’hommes qui seraient considérés en tout pays comme très distingués, et dont plusieurs viennent de se faire remarquer par une énergique application au travail et des succès singulièrement profitables à l’Italie. Les propagateurs du bruit d’une crise ministérielle qui n’a point existé ne pouvaient être par conséquent que ceux qui rêvent dans un changement de cabinet leur accession au pouvoir. En démentant les bruits de remaniement ministériel, nous n’entendons pas dire assurément qu’il n’y ait point dans l’organisation du système adminis-