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Tout est subordonné à ce grand intérêt. « Considérez, dit sir Henri Bulwer au consul-général d’Angleterre à Beyrouth le 6 août 1860, que l’objet immédiat du gouvernement de sa majesté et des autres puissances agissant de concert avec lui est de rétablir l’ordre et de maintenir l’autorité du sultan. » Sir H. Bulwer prie aussi le consul-général de lui communiquer ses réflexions sur les réformes administratives et financières qu’il y a lieu de faire dans la province, comme s’il y avait en ce moment une autre réforme à faire, et plus urgente, que d’empêcher les musulmans de tuer les chrétiens[1]. Enfin, dans la dépêche que lord John Russell adresse à lord Cowley le 7 novembre 1860, pour s’opposer à la prolongation de l’occupation européenne en Syrie, l’idée d’assurer la suprématie ottomane est l’idée dominante. « Augmenter les forces européennes et les maintenir en Syrie dans la vue de prévenir de nouveaux attentats, ce serait changer tout à fait le but du concert qui s’est établi entre le sultan et les cinq puissances. Dans quelles limites de nombre ou de temps renfermer une pareille occupation ? On aboutirait bien vite à transférer le gouvernement local de la Syrie aux cinq puissances européennes, et ainsi, au lieu de donner un utile exemple capable d’intimider le fanatisme musulman, l’occupation européenne de la Syrie deviendrait, un précédent pour d’autres occupations, en Bulgarie, en Bosnie, dans d’autres provinces ; on s’acheminerait au partage de l’empire ottoman. — Le gouvernement de sa majesté, n’ayant qu’à choisir entre les maux, préfère voir rendre le gouvernement de la Syrie aux autorités qui seront nommées par la Porte ou reconnues par elle, selon le plan que la commission mixte regardera comme le plus favorable au maintien de l’ordre en Syrie. La responsabilité sera laissée à la Porte… Il est vrai que de cette manière il n’y aura pas de garantie contre le renouvellement des luttes entre les Druses et les chrétiens ; mais aussi longtemps qu’il y aura deux races dans le pays, on ne peut pas songer à avoir une sécurité permanente[2]. »

Cette note est claire : l’Angleterre se résigne à tout, même au renouvellement des troubles, plutôt qu’à l’occupation européenne, c’est-à-dire française. Sa politique l’emporte sur l’humanité. Il faut avant tout empêcher que le gouvernement turc perde sa suprématie en Syrie ; c’est là le point principal, le reste est secondaire. Le Morning Post reprochait dernièrement à la France d’avoir eu une politique trop chrétienne en Syrie ; nous pouvons à notre tour reprocher à l’Angleterre d’avoir eu en Syrie une politique trop mahométane.

  1. Recueil anglais, p. 63, no 83.
  2. Ibid., p. 186, no 172.