Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/988

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur la possibilité de croire que la Turquie soit capable d’y maintenir l’ordre et la paix.


IV

Et d’abord le veut-elle ? Il ne faut pas oublier que la Turquie a une politique en Syrie et dans le Liban. Je ne veux pas caractériser cette politique, comme le faisait M. Guizot en 1845 à la chambre des pairs. « Le cabinet anglais, disait-il, ne serait pas capable d’abaisser sa politique au niveau de cette vieille politique turque dont je parlais tout à l’heure, qui travaille à détruire les Druses par les Maronites, et les Maronites par les Druses. Non, le gouvernement anglais ne veut pas cela : il veut sincèrement, comme nous, que l’ordre et la justice soient rétablis dans le Liban ; mais il est vrai que nous n’avons pas été et que nous ne sommes pas encore complètement du même avis sur les faits, les causes et les remèdes[1]. » Il est triste de voir combien peu l’état des choses a changé depuis 1845, et comment nous continuons à différer d’avis avec le gouvernement anglais sur « les faits, les causes et les remèdes. »

Mais, encore un coup, je ne veux point caractériser la politique turque avec des documens français ; je ne veux prendre sur ce point, comme sur les autres, que des témoignages anglais. M. Brant, dans un rapport général adressé le 30 août 1860 à M. Bulwer, nous rapporte d’Achmet-Pacha, le gouverneur de Damas pendant les massacres, un mot qui révèle et qui résume toute la politique turque en Syrie : « Il y a deux grands fléaux en Syrie, les chrétiens et les Druses, et quand un parti massacre l’autre, c’est tout profit pour la Porte[2]. » Avec cette maxime, il est impossible que la Porte se soucie beaucoup de maintenir l’ordre et la paix, quand même elle serait assez forte pour le faire. Dans le plan de gouvernement du Liban que lord Dufferin soumet à sir H. Bulwer, il semble avoir voulu commenter et expliquer le mot d’Achmet-Pacha : « Il n’y a pas le plus petit doute, dit lord Dufferin le 3 novembre 1860, que les derniers massacres et toutes les guerres, troubles et querelles qui ont agité le Liban depuis les quinze dernières années ne doivent être attribués au mécontentement qu’a causé au gouvernement turc l’autonomie partielle accordée à la montagne. Sa politique a été de prouver que le système adopté par les grandes puissances en-1845 était impraticable. À ce point de vue, les Turcs excitaient, quand l’occasion

  1. Séance du 15 juillet 1845.
  2. Recueil anglais, p. 132, n° 138.