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quand les chrétiens sont massacrés à Damas, à Deïr-el-Kamar, à Zahlé, à Hasbeya, à Rasheya, à Saïda, partout ; s’agit-il de venir en aide aux survivans, de nourrir, d’habiller, de loger les femmes qui ont perdu leurs maris, les enfans qui ont perdu leurs pères, les vieillards qui n’ont plus de fils ; s’agit-il de recouvrer, de rendre à leurs familles de pauvres filles enlevées et détenues dans les harems des musulmans : quel zèle, quelle ardeur, quelle vigilance, quelle charité ! Dans une circonstance urgente, lord Dufferin n’hésite pas à engager son crédit personnel pour 5,000 livres sterling, sans autre garantie que la parole de Fuad-Pacha, et la lettre dans laquelle il explique à sir Henri Bulwer ce qu’il vient de faire est d’une noblesse et d’une délicatesse qui m’ont charmé[1]. Avec quelle joie d’honnête homme il annonce à sir Henri Bulwer que tous les enfans et toutes les femmes enlevés par les musulmans à Damas ont été restitués à leurs familles ! Il ne manque qu’une petite fille nommée Vardeh[2].

J’aime à citer ces traits, afin qu’il soit bien entendu dès le commencement que je ne veux attaquer que la politique de l’Angleterre en Syrie, politique qui a le double défaut d’être impitoyable et inefficace : impitoyable, parce qu’elle est uniquement anglaise au lieu d’être humaine ; inefficace, parce qu’elle est forcée de prendre la Turquie pour instrument, et que la Turquie étant incapable d’arriver à une action, l’Angleterre, derrière elle, est inefficace et impuissante. Le malheur des ministres anglais est d’avoir à exprimer devant le parlement et à défendre devant l’Europe cette politique, qui n’a ni charité ni utilité. Le bonheur des consuls anglais, c’est qu’étant en Syrie en face du mal et en face de l’impossibilité des remèdes turcs, ils ne songent qu’à la vérité et à l’humanité. Précieuse condition pour eux : ils n’auront pas à se reprocher d’avoir encouragé la politique de leur gouvernement par aucun déguisement, par aucune complaisance, par aucun ménagement. Ils auront dit ce qu’ils voyaient et ce qu’ils pensaient ; ils auront rempli leur devoir. Si maintenant il a plu au gouvernement anglais de prendre sa politique dans des calculs de jalousie mesquine ou dans des traditions surannées, au lieu de la prendre dans l’étude des choses et des événemens actuels, les consuls et les agens anglais en Orient auront le droit de se laver les mains des conséquences de cette politique. Ils n’auront pas trompé sir Henri Bulwer, quand celui-ci les a interrogés sur la condition des chrétiens en Orient[3]. Ils n’auront pas trompé davantage lord John Russell sur l’état de la Syrie et

  1. Lettre du 29 septembre 1860, n° 150, p. 154 du recueil anglais.
  2. Lettre du 1er octobre, n° 150, p. 165, ibid.
  3. Voyez, sur l’enquête faite par sir Henri Bulwer, la Revue du 15 février et du 1er avril 1861.