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Fuad-Pacha, mais que la force de Fuad-Pacha est tout entière dans la crainte qu’inspire l’occupation européenne. Or l’occupation européenne n’existe plus. Fuad-Pacha va donc être seul en Syrie sans l’Europe ; la Turquie va être seule pour maintenir l’ordre. L’épreuve commence : cela nous fait trembler, non pour la Turquie, qui, dans cette expérience, risque seulement sa réputation de force et d’autorité, mais pour les chrétiens, dont la vie est l’enjeu de l’affreuse gageure que soutient la Turquie.

Le second fait que je veux signaler est la sincérité consciencieuse des agens anglais. N’allons pas confondre ce que disent les agens anglais dans leurs dépêches avec ce que disent les ministres anglais dans leurs discours au parlement ; il n’y a rien de si différent. Les consuls et les agens anglais, M. Moore, M. Brant, M. Fraser et M. Wrench, disent la vérité aux ministres ; les ministres disent leur politique. M. Brant dit qu’il faut une occupation temporaire européenne pour assurer la sécurité de la Syrie ; M. Moore, que l’arrivée des troupes françaises a délivré les chrétiens de Beyrouth, les Européens comme les indigènes, d’une inexprimable anxiété, et qu’il fallait un débarquement de troupes européennes pour garantir la sécurité publique ; M. Fraser, que si Fuad-Pacha fait un pas en arrière, et surtout si les troupes européennes n’arrivent pas, tout sera perdu à Damas. Tel est le langage véridique des agens anglais. Lord Palmerston et lord John Russell, loin de tenir compte de ces témoignages venant de leurs propres agens, disent au contraire que l’expédition française, c’est-à-dire l’occupation européenne, était inutile, que la Porte était assez puissante pour maintenir l’ordre, qu’elle le sera, oubliant la terrible sentence de la dépêche de lord John Russell du 1er août 1860 : la Porte a manqué de volonté ou de force. Voilà comment parlent les ministres anglais, et le 5 juin dernier, pour célébrer sans doute le départ de nos troupes de Syrie, le Morning Post disait : « Pour nous, nous avons constamment cru que l’intervention française, qui n’a eu lieu qu’après le rétablissement de la paix, n’a produit que du mal, quoiqu’on se soit efforcé d’organiser le pays. » Étrange contradiction, et que le blue book ne craint pas d’étaler à tous les yeux : les consuls anglais réclament une occupation européenne ; leur gouvernement croit que cette occupation n’a produit que du mal. Les consuls anglais, il est vrai, souhaitaient que l’occupation ne fût pas seulement française, mais qu’il y eût aussi des troupes anglaises mêlées à nos soldats. À Dieu ne plaise que je m’étonne de ce désir ! Il est le plus naturel et le plus national du monde. Loin que la France ait refusé ou éludé une pareille coopération, elle l’a toujours demandée. Nous voyons même, dans une dépêche de lord Cowley du 21 novembre 1860, qu’ayant