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une illusion incorrigible ? Non, c’est un système, et c’est là ce qui rend la Porte coupable. Nous verrons se développer ce système, mais nous ne voulons pas quitter cette dépêche du 27 juillet 1860 sans y signaler la résistance de la Porte à notre expédition de Syrie ; c’est là qu’est exposée toute la théorie que l’Angleterre adoptera peu à peu sur les dangers de l’occupation française en Syrie. Je ne sais même pas si cette théorie est tout à fait d’origine turque. Quoi qu’il en soit, citons-en quelques traits.

La décision était prise d’envoyer nos troupes en Syrie ; l’Europe y consentait, et la Porte-Ottomane avait déjà autorisé son ambassadeur à Paris à signer la convention, qui fut en effet signée le 3 août. Cependant la Porte, comme si elle espérait encore empêcher la signature de cette convention, transmettait le 27’juillet à M. Musurus, son ministre à Londres, la note suivante : « La Sublime-Porte déclare que si elle a adopté cette décision (l’envoi des troupes françaises en Syrie), c’est pour donner à ses alliés une preuve de sa confiance et de son loyal désir de réprimer les désordres qu’elle déplore plus que personne. Toutefois elle n’a pas laissé ignorer aux représentans de la France et de l’Angleterre à Constantinople tous les inconvéniens et tous les dangers que pourrait amener une intervention de cette nature. Elle leur a fait observer que l’arrivée de troupes étrangères sur un point du territoire ottoman pourrait, d’un bout à l’autre de l’empire, éveiller chez les différentes populations des sentimens différens, dont les résultats pourraient devenir on ne peut plus désastreux. En effet, la partie turbulente des populations chrétiennes, interprétant la résolution des puissances comme une assistance en leur faveur contre les musulmans, pourrait se laisser aller à des excès. D’un autre côté, ceux d’entre les musulmans qui ne sont pas en état d’apprécier les véritables intentions de l’Europe, désespérés et irrités de se voir traiter avec tant de méfiance, par cela seul que les Druses et une poignée de malfaiteurs qui n’ont de musulman que le nom qu’ils portent, se sont permis des actes qu’ils réprouvent eux-mêmes, pourraient répondre à ces excès par d’autres excès. Il est évident que les malheurs que serait capable d’amener un pareil état de choses rallumeraient des haines que le gouvernement fait tout son possible pour éteindre. De plus, une fois l’idée répandue parmi les populations musulmanes que le gouvernement impérial appelle des forces étrangères pour punir ses coreligionnaires, l’autorité souveraine perdrait en partie son prestige à leurs yeux… » La note continue en déclarant que la Porte est en état de réprimer les désordres, et elle conclut par ces paroles : « En conséquence, la Sublime-Porte ne voit aucune nécessité de recourir à une mesure qui serait capable de faire naître de si grands périls, et qui, en tout cas, constituerait