Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/961

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre, mettent en circulation tant de prodiges de mauvais aloi que de ces montagnes de fraudes je n’ai jamais voulu m’amuser à extraire quelques parcelles de vérité. Notez bien que je vous ai dit tout ceci du haut de ma chaire ; mais est-il bien sûr que vous ne dormiez pas ce jour-là ? Vous voyez que, moi aussi, je questionne.

« Quoi qu’il en soit, pour vous complaire, j’ai remué, compulsé quelques gros bouquins, — Schenkius, Turner, Kenelm Digby et les autres : — il y a là pas mal d’historiettes curieuses que vous pourrez prendre pour ce qu’elles valent. Appliquez, par exemple, à votre question numéro 1 le cas, rapporté dans les Memorabilia de Mizaldus, de cette jeune fille nourrie de poison (comme Mithridate), et que le roi des Indes envoya au camp du grand Alexandre. Aristote, voyant briller et vibrer ses yeux à l’instar de ceux des serpens, avertit son ancien élève de prendre garde. « Attention, Alexandre, c’est là une compagne dangereuse pour toi ! » Il paraît en effet que cette jeune dame n’était pas une amie très sûre. Cardan, d’après Avicenne, parle d’un homme mordu par un serpent, et qui en guérit, mais le serpent en mourut. Cet homme eut ensuite une fille à qui les serpens ne pouvaient faire aucun mal, mais elle avait sur eux un ascendant mortel.

« Vous avez probablement dans la mémoire ce que les anciens auteurs disent de la lycanthropie. Aétius et Paulus décrivent avec autorité cette maladie, qui change les hommes en loups, et comme aspect et comme instincts. Altomaris cite là-dessus un fait horrible, et Fincelius raconte qu’en 1541 un homme qu’on avait arrêté comme particulièrement dangereux soutint obstinément qu’il était loup ; « seulement, ajoutait-il, le poil de la bête est en dedans. » Les Latins appelaient en effet versipelles ces prétendus loups.

« On ne compte plus les enragés que leur maladie pousse à mordre et à aboyer comme font les chiens. Pour les impressions que l’enfance lègue à l’âge mûr, vous avez l’histoire si connue du roi Jacques et du trouble que lui causait une épée sortie du fourreau, ce qui faillit coûter cher à Kenelm Digby le jour où le roi l’arma chevalier, car Jacques, détournant la tête de l’épée qu’il dirigeait vers l’épaule du néophyte, faillit la lui planter dans l’œil droit. Buckingham se trouva là tout à point pour saisir la lame et la remettre dans le bon chemin.

« C’est le même Kenelm Digby qui nous a conservé le souvenir de cette grande dame marquée d’une mûre au cou. Gaffarel parle d’une jeune personne marquée d’un poisson, et ajoute que, quand elle mangeait du poisson, ce signe lui faisait mal. La croyance au mauvais œil est tellement générale en Italie (sans compter qu’elle date du roi Salomon) qu’elle doit être fondée sur quelques faits rares, il est vrai, mais avérés. Aucun n’est venu à ma connaissance. La