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à surprendre entre le monde organique et le monde inorganisé, quelle est en un mot la doctrine chimique actuelle dans ses caractères les plus généraux et les plus importans. Dans cette double étude, historique et philosophique, on ne saurait prendre un meilleur guide que M. Berthelot, dont l’esprit est aussi familiarisé avec le passé de la science qu’ardent à en poursuivre les progrès, à en agrandir les enseignemens.


I

La chimie organique n’a pu se constituer comme science qu’après les importantes découvertes qui ont donné à la chimie inorganique une base certaine, un corps de doctrine stable et étendu. Le monde vivant emprunte en effet ses élémens à la matière inerte ; mais si les atomes s’y groupent dans un équilibre plus instable, les affinités des corps simples n’y sont point altérées. La connaissance de ces élémens irréductibles est la base fondamentale de la doctrine chimique moderne ; ils nous fournissent l’unité spécifique et fixent le nec plus ultra que l’analyse ne peut dépasser. Avec une soixantaine de substances, on peut reconstruire le monde en pensée. Cette notion des corps simples est toute moderne : l’antiquité fut asservie à la doctrine dès quatre élémens ; les écoles scolastiques du moyen âge ne pénétrèrent pas plus profondément dans la véritable nature de la substance matérielle. Les premières tentatives faites pour décomposer les corps avec l’aide de la chaleur ou des dissolvans donnèrent naissance à la théorie dite des trois élémens ; on imagina que les premiers principes des choses étaient au nombre de trois, le sel, le soufre et le mercure, et que le mélange inégal de ces élémens constituait toutes les parties de l’univers. Boyle montra combien cette doctrine était peu satisfaisante : aux quatre élémens d’Empédocle, qui au moins avaient le privilège de se définir clairement, l’eau, l’air, le feu, la terre, on substituait des élémens mal définis, dont on donnait le nom à tout ce que l’on parvenait à extraire des corps, sans étudier la nature véritable et intime de ces parties constituantes. La théorie nouvelle avait pourtant sur l’ancienne un avantage réel, en ce qu’elle reconnaissait la possibilité d’effectuer des changemens dans les corps, et attribuait ces modifications au déplacement, à la séparation ou à la combinaison des élémens primitifs, ou, comme on les nommait parfois, hypostatiques. Guidés par cette seule idée, vague encore et mal définie, les chimistes s’appliquèrent surtout à découvrir de nouvelles substances médicinales. L’art des van Helmont et des Paracelse fut nommé l’art spagirique, c’est-à-dire l’art des séparations et des combinaisons. La chimie tout entière