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un brin d’herbe, un bourgeon qu’il pût cueillir et mordiller, car c’était une habitude à lui, un instinct campagnard… Sa main, rampant à terre, à côté de lui, rencontra quelque chose. Ce devait être une tige quelconque, une paille, une ramille… Il prit cet objet menu ; c’était une épingle à cheveux.

Bernard fut presque aussi ému par ce futile incident que Robinson lorsqu’il découvrit sur le sable de son île les vestiges d’un pied humain. Il se leva immédiatement et se mit à chercher d’autres indices du même genre. — Vais-je, se demandait-il, trouver enfin la caverne de la fée ? Sera-ce une cellule d’anachorète avec un siège de granit et une tête de mort, ou bien quelque boudoir coquettement orné de glaces, avec une peau de tigre étendue au milieu ? Voyons, voyons… — Et tout animé de ces idées joyeuses, il avança jusqu’à l’entrée de la caverne, où il plongea un regard curieux.

À ce regard répondit celui de deux yeux de diamant, ou plutôt de deux froides étincelles, deux pointes lumineuses se mouvant au sein des ténèbres, et qui lentement glissaient vers le jour, ce qui revient à dire vers Langdon lui-même. Cloué au sol, frappé de mutisme, fixant sur ces éblouissantes phosphorescences ses prunelles dilatées, engourdi soudainement par un froid qui l’empêchait de bouger, dominé par cette écrasante terreur dont les rêves qui accompagnent le cauchemar peuvent seuls évoquer le souvenir, il attendait. Les yeux avançaient toujours ; leur cercle étroit bientôt s’agrandit, et ils se haussèrent en même temps, comme mus par quelque surprise irritée. Alors pour la première fois vint bruire aux oreilles du jeune professeur ce son menaçant qu’aucune créature vivante, homme ou brute, n’a jamais entendu sans frayeur, ce frémissement prolongé, pénétrant, sonore, avec lequel le crotale rassemble ses nœuds craquetans et prépare, en ajustant ses ressorts, l’élan fatal qui va le précipiter sur sa proie. Bernard sentait ses yeux rivés par une attraction magnétique sur les deux anneaux flamboyans. Ses oreilles tintaient comme au début de ces évanouissemens que procurent les aspirations du chloroforme. Le chat, le lion, le crotale, autant d’anesthésiques vivans. Il attendait, avons-nous dit, il attendait comme l’homme dont on va faire deux morceaux attend le coup de hache, avec une sorte d’impatience, accusant la lenteur des secondes ; mais tandis qu’il demeurait ainsi, croisant son regard avec les feux irradiés de ces étoiles ardentes, il lui sembla qu’elles perdaient quelque chose de leur éclat, quelque chose de leurs épouvantemens, qu’elles se ternissaient peu à peu et graduellement s’éteignaient. Le charme se dissipait, l’engourdissement s’atténuait, le mouvement allait lui être rendu…

Près de son oreille, il entendit un souffle léger, et, tournant à demi la tête, il vit la figure d’Elsie Venner qui, parfaitement immobile