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Ce fut un samedi, par une belle après-midi bien chaude, qu’il commença son voyage de découvertes. Au fond, ce n’étaient pas seulement les fleurs de « la Montagne » qui l’attiraient ainsi : l’idée de rencontrer sa vagabonde écolière, à tout le moins de retrouver quelques traces d’elle et de surprendre ainsi le secret de ces promenades qui faisaient tant jaser, comptait pour quelque chose dans l’ardeur avec laquelle il se mit en route. Son point de départ fut l’angle occidental de la mansion habitée par Dudley Venner, et son parti bien pris était de monter jusqu’au ledge dont on faisait tant de bruit. La preuve, c’est qu’il avait mis d’épaisses chaussures à tiges montant assez haut, et qu’il s’était muni d’un bâton fourchu à l’une de ses extrémités. C’est l’arme ordinaire des chasseurs de crotales. Il connaissait le ledge pour avoir vu de loin ses pentes chauves, à l’aspect lépreux, qui, par leur nudité même, tranchaient sur les flancs boisés de « la Montagne ; » mais il ne s’attendait pas à la scène de désolation qui frappa ses regards lorsqu’il y fut parvenu. Les roches, sans cesse lavées par l’eau du ciel, semblaient avoir pendant des milliers d’années subi les lentes morsures de vagues insatiables. Çà et là elles débordaient leurs bases, et semblaient des tours penchées près de s’écrouler au premier coup de tonnerre. En d’autres endroits, elles étaient crevassées de niches, sillonnées de cavernes. Ailleurs on y rencontrait de profondes fissures, assez larges pour qu’on y pût descendre, si l’on ne tenait compte de l’accueil que vous feraient probablement leurs hôtes habituels. Les fleurs que cherchait Langdon lui apparurent enfin. Il les vit, disséminées par touffes, sur une sorte de parapet, une muraille à peu près perpendiculaire formée par les rochers. Était-il vraiment possible ?… Et pourtant elles étaient là, non ailleurs, et il reconnaissait bien la fleur intercalée dans son Virgile. Aussi cherchait-il machinalement à ses pieds, autour de lui, de tous côtés, s’il n’apercevrait pas quelques-uns de ces menus débris que, dans les broussailles et même dans les salles de bal, les dames, avec leurs toilettes légères, sèment si aisément autour d’elles… Non,… rien… Eh ! mais,… un moment ! Voici un caillou dont la mousse a été arrachée. Un pied humain a dû s’y poser. Voici, dans ce buisson, un frêle rameau brisé depuis peu. À la piste de ces indices, Langdon tourna un angle de rochers abrupts, et se trouva sur une plate-forme naturelle, en face d’une des plus larges fissures qu’il eût encore rencontrées. Ce pouvait être l’entrée d’une grotte, comme ce pouvait être un simple écartement du granit. Il y avait là une pierre plate, sorte de banc naturel qui s’offrait tout à propos, car notre ami Bernard commençait à être las. Une fois assis, il se prit à regarder machinalement ce qu’il avait sous les yeux. Il ramassa un fragment de schiste et le lança au loin par manière de passe-temps. Il cherchait