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les cheveux épars et tombant à flots sur son jupon aux larges rayures. Elle avait saisi ses castagnettes, et tandis qu’elle les faisait claquer avec une sorte de furie, son corps agile, souple, flexueux, ondulait comme une tige de palmier sous le vent d’Afrique, ses yeux de diamant jetaient des feux à éblouir ; ses bras ronds se crispaient, se tordaient avec d’étranges vibrations prolongées jusqu’à l’extrémité de ses doigts effilés. Dans cette danse effrénée, elle semblait vouloir user, épuiser quelque passion dont elle aurait eu peur, car elle dansa jusqu’à ce que, soudainement à bout de forces, et chancelant sur ses jambes, qui lui manquaient, elle allât tomber dans un coin de la chambre, sur une grande peau de tigre, où elle demeura plutôt roulée que couchée.

Le vieux médecin, immobile, la regardait, haletante, sur cette monstrueuse dépouille qui, vue d’un peu loin, rappelait l’attitude de l’animal féroce quand il s’aplatit contre terre pour s’élancer sur sa proie. Après quelques instans, la tête de la jeune fille s’affaissa sur son bras replié, et ses yeux brillans se fermèrent. — Elle dormait. Il la contempla quelques minutés encore avec une sorte d’attendrissement austère et grave ; puis il porta la main à son front, comme si cette vue lui rappelait quelques souvenirs d’un passé lointain. — Pauvre Catalina ! s’écria-t-il. Pas un autre mot ne sortit de sa bouche. Il avait compris que, pour ce jour-là, sa visite était inopportune. En conséquence il revint, sans s’être montré, jusqu’à son petit équipage, et disparut comme dans un rêve.


III

J’ai dit, je le pense, que le docteur se connaissait en chevaux ; aussi put-il regarder comme une bonne fortune la rencontre qu’il fit en rentrant chez lui, au grand trot de la fidèle Cassia. Sur un noir coursier dont jamais la crinière et la queue n’avaient subi l’outrage du fer, un jeune homme, coiffé du sombrero à larges bords, perché sur une selle haute, armé d’éperons énormes, arrivait à fond de train. Impossible de s’y tromper : c’était bien là un intrépide gaucho, montant le fameux mustang ou cheval des pampas. Le docteur regarda de tous ses yeux, autant vaudrait dire de toutes ses lunettes, et parvint à reconnaître au passage, bien que quelques années l’eussent passablement changé, le brillant espiègle que les gens du pays appelaient jadis « le petit Venner. »

C’était en effet Richard Venner, le cousin et le compagnon d’enfance de la belle Elsie. C’était ce même Dick dont elle regrettait l’absence, n’ayant plus, depuis son départ, un seul être humain à détester. Le fait est qu’ils avaient grandi côte à côte, animés, peut-être à leur insu, des sentimens les moins affectueux, beaux tous