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donc qu’on a considéré la terre comme un lieu de plaisance ou d’exil, comme un séjour ou comme la station d’un pèlerinage, les dispositions de l’âme qui se sent vieillir peuvent varier de l’excès de l’amertume au tressaillement de la joie. Le singulier talent de Mme Swetchine dans ses réflexions sur la vieillesse est de trouver des expressions aussi vives, aussi senties, qui ont l’air de partir d’une expérience aussi intime et aussi personnelle pour l’une de ces impressions que pour l’autre. Nous venons de voir comment elle comprenait les moindres misères de la frivolité mondaine : écoutons maintenant les hymnes d’allégresse de l’âme sainte délivrée du fardeau de la vie.


« La vieillesse attend, dit-elle ; mais qu’est-ce qu’attendre quand c’est Dieu qu’on attend sur la foi de sa parole, si ce n’est en même temps goûter le charme du mystère et le grand jour de la certitude, si ce n’est apercevoir, à travers un crépuscule doré, l’éclat de la lumière incréée, si ce n’est le délice d’apprendre et en même temps de savoir, si ce n’est bondir de joie à chaque pas qu’on fait, se recueillir pour jouir, se parer pour plaire, appeler en se sentant répondu ?… Je me recueille, ô mon Dieu, à la fin de la vie, comme à la fin d’une journée, pour vous apporter les pensées de ma foi et de mon amour. Les dernières pensées d’un cœur qui vous aime ressemblent aux derniers rayons du jour, plus intenses et plus colorés avant de disparaître. Vous avez voulu, ô mon Dieu, que la vie fût belle jusqu’au bout. Faites-moi croître, reverdir, monter, comme la plante qui dresse encore une fois, sa tête vers vous avant de donner sa graine et de mourir !

«……..Nunc dimittis : c’est à présent, ô mon Dieu, que vous pouvez retirer à vous votre servante et lui donner la paix. Son bagage est allégé : le moins fort de vos anges l’emporterait sous son aile. L’orgueil qui enfle est abattu, le moi a perdu sa substance, le monde lui a retiré ses lourdes faveurs, le poids du péché a été emporté par le pardon et les larmes, et sous votre joug léger et doux tous ses membres se sont assouplis. »


Dirai-je que la première fois que je parcourus ces belles pages, tout plein encore de l’émotion qu’elles m’avaient causée, la curiosité me prit de les comparer avec le traité classique dans lequel nous avons tous appris nos premières élégances latines, et qui nous consolait à quinze ans du chagrin de vieillir ? Et avouerai-je quel fut mon désappointement ? Tout dans le fameux de Senectute de Cicéron me parut terne et superficiel, et quelque étonnement qu’on eût causé à Mme Swetchine elle-même en mettant son nom à côté de celui de Cicéron, un lecteur impartial conviendra, j’en suis sûr, que la distance du génie est plus que compensée ici par la différence de l’ordre des idées et des croyances. Je ne trouvai dans le traité antique rien de ce que je venais de voir si vivement exprimé, ni la peinture des amertumes réelles, ni le soupçon des joies possibles de l’âge avancé, ou plutôt, comme tous les moralistes purement humains, Cicéron