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élastiques qui mettent les consciences si fort à l’aise, et elle les avait caractérisées tout de suite par un trait plein de sens et de finesse ; elle n’était pas encore catholique, que déjà elle écrivait à une de ses amies qui avait ressenti quelque éblouissement du mysticisme germanique : « Je goûterais comme vous cette philosophie religieuse qui voudrait bien que tant de gens qui pensent différemment eussent cependant tous également raison ; je suis entraînée par ce christianisme à larges touches. Cependant, en donnant à notre croyance une latitude si immense, je suis, je vous l’avoue, embarrassée de la porte étroite par laquelle l’Évangile prétend qu’il faut la faire passer. » Plus tard, lorsque des imitateurs qui voudraient bien être pris pour des inventeurs importèrent en France, pour notre édification, ces distinctions savantes entre la religion, dont, suivant eux, les formes varient, et le sentiment religieux, dont le fond est identique et impérissable, tous les complémens doucereux dont cette théorie s’environne d’ordinaire ne purent dissimuler un instant à Mme Swetchine ce qui s’y cache de secrète impertinence. Elle, dont le sentiment religieux était la vie, savait bien que ce sentiment n’est rien, s’il n’est la soif de la vérité en soi, de la vérité sans mélange, et de la vérité qui ne passe pas. Dire par conséquent qu’il peut s’appliquer indifféremment à des symboles qui se contredisent ou qui changent, c’est lui interdire de prétendre précisément à l’objet qu’il cherche, c’est lui faire entendre insolemment qu’il est toujours trompé alors même qu’il se croit satisfait. Non, Dieu de vérité, personne n’a reçu de vous le droit de dire que vous vous jouez à ce point de vos créatures ! Vous n’avez pas allumé en elles la soif du vrai pour les laisser éternellement se repaître d’illusions ; vous ne les destinez pas à associer toujours au culte qu’elles vous rendent des fictions passagères, fruits de leurs rêves et promptes, comme tous les songes, à fuir devant le jour. La supposition même d’un tel mélange vous outrage et les déshonore, car l’union qu’elles veulent contracter avec la vérité est un mariage pur qui n’admet pas de partage. L’intelligence qui vous cherche est chaste, et vous êtes jaloux.

J’ai dit ce que n’était pas la tolérance de Mme Swetchine : il me reste à dire ce qu’elle était. Deux traits à mon sens suffisent pour en donner l’idée. Quel que fût celui qui lui parlait et quelque conviction (fût-elle directement contraire à la sienne propre) qui lui fût exprimée, Mme Swetchine commençait par croire à la sincérité de son interlocuteur. Elle ne mettait en doute ni sa bonne foi, ni l’honnêteté des motifs qui le retenaient dans son opinion. Elle raisonnait avec lui comme avec une âme loyale, qui cherchait en conscience la vérité ou croyait l’avoir trouvée. Elle ne l’abordait point avec la supposition préconçue de trouver chez lui les résistances de l’intérêt, de la passion ou de la vanité, et cela seul écartait de ses lèvres