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de Mme Swetchine aura été frappé, j’en suis sûr, de ne trouver chez une chrétienne si décidée pas un accent ni une nuance qui sentît l’intolérance. De tous ses mérites, c’était le plus apparent et le mieux apprécié. Parfois ses amis l’en plaisantaient : pour ma part, j’ai eu souvent la tentation de lui demander son secret. Il me semble que j’aurais eu, même parmi nos contemporains, plus d’une application utile à en faire. Dans ce siècle en effet qui se croit le siècle de la tolérance même, j’ai bien rencontré des gens qui ont renoncé à brûler leurs adversaires et qui se contentent de les haïr ; j’en ai vu d’autres qui souffrent patiemment la contradiction sur les vérités dont ils ne se soucient pas. Ni l’un ni l’autre de ces genres de tolérance, je l’avoue, ne m’a paru ni pleinement suffisant, ni tout à fait méritoire. Mais où est-il celui qui, attachant un prix inestimable à la vérité qu’il possède, accorde pourtant un support bienveillant et affectueux aux consciences qui s’en écartent ? et dans quel repli de son cœur Mme Swetchine avait-elle pu placer, à côté de la foi rigide des anciens jours, cette largeur conciliante qui semble n’appartenir qu’aux âges d’indifférence ?

Car, c’est ce qu’il ne faut point oublier en parlant de sa tolérance, la foi de Mme Swetchine était avant tout une foi rigide ; c’était une foi ferme et précise qui n’avait rien de lâche ni de vague, qui ne marchandait sur aucun point, et dessinait nettement tous ses contours. Sa tolérance ne provenait donc point de concessions faites sur quelque partie réputée moins essentielle de la vérité. Elle ne mettait pas, si j’ose ainsi parler, ses convictions au rabais, réservant l’indispensable et passant légèrement sur le reste. Elle était entrée au contraire de très bonne heure dans cette conception essentiellement catholique (la seule digne, suivant nous, d’une religion positive) qui considère la foi dans une doctrine révélée comme un ensemble solidaire dont on ne peut, sans tout ébranler, détacher la moindre partie, ou plutôt comme une glace dont tout le mérite est de laisser passer la lumière et qui perd son prix si une tache en intercepte ou si une fissure imperceptible en décompose le moindre rayon. Quoi de moins important en apparence que la différence qui sépare l’église latine de l’église grecque ? Un mot dans le Credo et une prérogative attachée au siège, de Rome. Pour ce mot pourtant, pour cette nuance, Mme Swetchine avait sacrifié sans hésiter fortune, crédit, repos, patrie. On voit combien elle était loin de cet éclectisme vague qu’on nous prêche si souvent aujourd’hui, et aux yeux duquel toutes les religions peuvent marcher de front et se donner la main, parce que ce qui importe, nous dit-on, ce n’est point telle ou telle religion, mais le sentiment religieux ; c’est de croire en général, quel que soit l’objet de la croyance. Mme Swetchine avait rencontré de très bonne heure, de l’autre côté du Rhin, ces inventions