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d’être ardente, car la vérité est assez belle pour être d’autant plus aimée qu’elle est mieux connue ; la vérité est comme le soleil : plus son éclat s’épure, plus sa chaleur vivifie ; il serait étrange que le monde moral obéît à d’autres lois que le monde physique, et qu’en ce genre seulement contempler la lumière empêchât de sentir la flamme.

Pour Mme Swetchine en particulier, l’étude qui précéda sa conversion, loin de glacer sa piété par la moindre nuance de sécheresse ou de pédanterie, fut au contraire échauffée par un progrès de ferveur croissante. Elle aimait si peu à parler d’elle-même, qu’elle n’a raconté nulle part en détail le chemin de son âme ; mais les traces et comme les étapes en sont marquées dans ces volumineux cahiers de notes et d’extraits de lectures, où ses sentimens se trahissent de loin en loin, soit par une réflexion jetée en courant sur le papier, soit par le choix d’un vers ou d’une pensée qui sert d’épigraphe. On les voit devenir plus animés, plus tendres, plus brûlans, à mesure que le jour décisif est plus voisin, comme l’élan d’un cheval généreux redouble en approchant du but. Ne trouve-t-on pas, en traits de feu, tout le récit de cette histoire intime dans cette page incomparable qu’une sorte de pudeur pieuse empêcherait d’insérer dans un recueil littéraire, s’il n’était loisible à tout ami du beau de la prendre pour un feuillet perdu des soliloques de saint Augustin ?

« Mon Dieu, je ne vous ai pas toujours connu, je ne vous ai pas toujours aimé ! Pendant un temps, ô mon Dieu, un temps que je ne puis concevoir, vous étiez partout comme à présent, et je ne vous voyais nulle part. Enfin pourtant je vous entrevis dans la foulé des objets qui sans cesse vous dérobaient à ma vue ; bientôt après votre tête adorable s’éleva au-dessus de toutes les autres, et les domina. Je la vis, cette tête divine, dispenser les miséricordes, supporter les outrages, être en butte à bien des traits. Votre beauté, l’acharnement de vos ennemis, qui étaient ceux de la vertu, m’attendrirent. D’abord je tournai souvent mes regards vers vous, ensuite plus souvent encore ; enfin je ne les détournai plus, et j’en vins à mêler cette chère vue à toutes les autres, à ne la séparer de rien, pour que tout en moi fût meilleur et plus sage. J’en étais là, et je m’y croyais arrêtée, quand il se fit, je ne sais plus comment, qu’un jour, une heure rapide et heureuse, je ne vis plus que vous seul ! Ô mon Dieu, c’est lorsqu’auprès de vous tout ce qui n’était pas vous me parut frappé d’amertume et de néant, que je vis bien, mon bon Sauveur, qu’enfin la pauvre brebis avait connu son vrai pasteur ! »

Le soin que Mme Swetchine avait mis à approfondir les motifs de sa foi et à en élargir les bases lui avait procuré un autre avantage : c’était de lui faire rencontrer le point exact où une extrême tolérance d’opinion peut se concilier avec la rigueur d’une conviction exclusive. Quiconque est entré, ne fût-ce qu’une fois, dans le salon