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toute faite. Et c’est précisément parce qu’elle n’avait jamais redouté la lumière que sa foi était si habile à la répandre autour d’elle.

Nous sommes difficiles pourtant en matière de foi et de conversion, principalement ceux d’entre nous qui se promettent bien de ne jamais passer par là. J’ai entendu dire (n’ai-je pas même vu imprimé quelque part ?) que la conversion de Mme Swetchine fut un acte trop raisonné pour partir du cœur, et qui inspire encore à la lecture trop d’estime pour causer beaucoup d’émotion. Des critiques trouvent qu’il y manque l’entraînement, le coup de la grâce, l’effusion, l’intuition, que sais-je ? l’effet dramatique de rigueur dans un opéra ou dans un roman pour préparer ces sortes de transformations morales ; cela choque nos traditions littéraires en matière de conversion. La religion en effet figure dans notre littérature comme une de ces régions plus célébrées que visitées, dont les géographes d’autrefois dessinaient la carte d’après le récit de voyageurs qui n’y avaient jamais mis les pieds. Il n’était rien tel qu’un érudit du XVIIe siècle, n’ayant jamais franchi une barrière de Paris, pour savoir pertinemment combien de lieues couvre le grand désert, et de combien de sources découle le Nil. Je ne puis de même me lasser d’admirer la science désintéressée que des romanciers du bel air ou des bacheliers en philosophie déploient chaque jour sous nos yeux, pour déterminer les conditions auxquelles la foi peut naître dans les âmes, les limites qu’elle doit reconnaître, et les signes qui la révèlent. Ils lui assignent deux ou trois origines différentes, comme, par exemple, l’innocente candeur du jeune âge, les déceptions du cœur, ou le repentir des tendres faiblesses. Hors de là, ils ne reconnaissent pas sa légitimité. Avec la même autorité, ils définissent les régions de l’âme où elle peut régner, ils lui abandonnent généreusement tout ce qui tient au sentiment ; mais qu’elle se garde de toucher à ce qui relève de la raison ! Sur ce domaine réservé, il lui est interdit de pénétrer, d’autant plus qu’il pourrait être gênant de l’y rencontrer. Le malheur veut que la foi se joue de leurs certificats d’origine, de leurs passeports et de leurs barrières. Faite pour posséder l’être humain tout entier, cœur, esprit et activité, elle a mille portes pour y entrer et mille manières de le prendre. Elle peut animer le premier regard de l’enfant tourné vers le ciel, elle peut jaillir comme l’étincelle du choc des passions et de l’adversité, elle peut naître aussi du concert harmonieux de toutes les facultés de l’intelligence, dirigées, sous l’œil de Dieu, à la recherche de la vérité par la volonté. Quand c’est ainsi la raison qui éclaire les voies, la foi prend possession plus lentement peut-être, mais aussi plus sûrement de l’âme, et la pénètre d’une émotion moins bruyante, mais non moins profonde. Une telle foi, pour être réfléchie, ne laisse pas