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sourde angoisse, comment la vieille foi saurait affronter ces épreuves nouvelles que lui impose de nos jours une volonté plus forte que celle des hommes, comment elle saurait se dégager d’institutions surannées et d’idées condamnées sans retour, mais qui, bien que parfaitement étrangères à elle, se sont, en vivant tant de siècles à côté d’elle, imprégnées de son esprit et l’ont enlacée de leurs liens ? Où est-il celui qui, en voyant aux prises avec la croyance traditionnelle, à laquelle il sacrifierait sa vie, un monde tout entier renouvelé, n’ait été parfois troublé soit de la forme imprévue du péril, soit de l’audace des adversaires, soit de l’inexpérience des défenseurs ?

Comment une étrangère, comment Mme Swetchine avait-elle pu pénétrer dans ses moindres nuances et dans ses peines les plus secrètes cet état d’esprit propre aux membres les plus distingués de la société où elle était venue vivre ? Je ne sais, mais il est certain que le mérite principal de cette croyante très décidée était d’entrer finement dans toutes les difficultés que d’autres éprouvaient à croire comme elle, et de mettre en œuvre pour y répondre ou les écarter toutes les ressources d’une intelligence plus ferme et plus cultivée que celle des femmes ordinaires. Et puis, après tout, la meilleure réponse, c’était elle-même, et tout un mélange d’idées, de vertus et de croyances d’origines diverses, fondues en sa personne dans la plus harmonieuse unité. Pour ceux qui doutaient que les vertus chrétiennes pussent avoir de nos jours la même vigueur et la même fécondité qu’autrefois, ce n’était pas tout sans doute, mais c’était déjà quelque chose que d’avoir sous les yeux un modèle de perfection évangélique, gardant toute la saveur du christianisme primitif et y mêlant des caractères particulièrement appropriés au temps présent. C’était quelque chose de la voir le matin à l’église, comme la plus humble dévote de son quartier, fidèle au moindre iota de la lettre sainte, soigneuse de la moindre obole du dépôt de la foi, et de la retrouver le soir dans son salon, prête à faire accueil à toutes les idées et même à toutes les vertus nouvelles dont le cours des siècles a grossi le trésor de la morale humaine. Il semblait voir le christianisme lui-même sous une brillante image fouler d’un pas ferme et léger le terrain de nos mœurs modernes, et beaucoup d’esprits incertains trouvaient la démonstration assez éloquente pour ne plus mettre en doute la possibilité de son mouvement.

C’était par exemple un rare bonheur, non sans doute pour Mme Swetchine (car elle avait payé cet avantage par le trouble de ses plus belles années), mais pour bien des sceptiques de notre âge qu’elle appelait à profiter de son expérience, que de trouver en elle une foi qui avait passé par l’épreuve du doute et qui en était sortie par la voie de l’étude et de la réflexion. Mme Swetchine, je l’ai dit, n’avait pas toujours été chrétienne : il n’était pas de mode de l’être