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et désirables de la foi religieuse dans son sein ! — De ces prédications innombrables faites au nom des principes les plus divers, de l’éloquence renaissante et rajeunie des orateurs croyans, de la critique renouvelée aussi d’ingénieux sceptiques, des efforts malheureux de prophètes novateurs, d’une suite de réactions successives et superficielles vers l’incrédulité ou vers la foi, est résultée, si je ne me trompe, dans l’esprit de cette pauvre génération dévoyée, une impression pénible et confuse comme celle d’un homme qui, en proie à un mauvais rêve, ne peut se dégager d’un labyrinthe sans issue. On lui a beaucoup répété et elle sent bien qu’elle ne peut se passer d’une religion, et elle n’a pas eu trop à se louer des hauts faits de la raison privée de la foi ; elle n’attend pas qu’une religion nouvelle lui soit envoyée du ciel, et elle accueille avec un sourire tous les messies prétendus d’un nouvel évangile ; mais elle n’est pas sûre, et on n’a pas réussi à la convaincre, que l’antique religion, celle à l’ombre de laquelle toutes nos sociétés ont grandi, n’ait pas été dépassée par les développemens de ces sociétés mêmes, et puisse suffire aujourd’hui à leur âge mûr aussi bien qu’elle a présidé à leur berceau. Ainsi une religion en général nécessaire, toute religion nouvelle ridicule, la religion existante surannée, voilà, j’en ai grand peur, ce que pense un Français pris au hasard, et s’il était serré de près et sincère dans ses aveux, il lui faudrait convenir qu’il regarde au même moment la même chose (et quelle chose !) comme indispensable et impraticable.

Il est bien entendu que je ne parle pas ici de ceux qui ont eu la bonne fortune de garder une foi héréditaire, ou de la retrouver par une conversion individuelle ; je ne parle pas davantage des rares adeptes qui s’enrôlent dans nos écoles sous un drapeau philosophique. Je parle de cet état général de l’opinion auquel le commun des hommes s’abandonne sans résistance, et dont personne, sauf un très petit nombre de solitaires, ne peut se vanter de ne pas ressentir, en certaine mesure et à certains momens de sa vie, la contagion. Quoi qu’on fasse en effet, on est de son temps et de son pays. Certaines difficultés sont à chaque époque comme répandues dans l’atmosphère, et on ne s’en préserve (quelque soin qu’on mette à se barricader) pas plus que de l’air qu’on respire. Celle que je viens d’indiquer est de ce nombre, et les cœurs les mieux assurés en ressentent un secret malaise. Il y a sans doute des incrédules obstinés qui se croient élevés par le dédain bien au-dessus de toute faiblesse superstitieuse. Combien en connaissez-vous qui détruiraient les autels et proclameraient le culte de la raison avec la sérénité confiante d’un encyclopédiste ? — Des croyans sincères et zélés, le sol de France en porte chaque joui, et Sodome compte beaucoup plus de dix justes ; mais où est-il, celui qui ne s’est jamais demandé, avec une