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s’emporter jusqu’au fanatisme. Dès qu’elles ont placé leur foi quelque part et donné à quelqu’un leur confiance, elles ne conçoivent plus guère que d’autres puissent douter de ce qu’elles croient, ni que l’objet de leur préférence puisse avoir tort, et, dans la conscience de cette double infaillibilité, on a vu des créatures faibles, en apparence nées pour, la paix et dont le regard respirait la douceur, travailler sans le moindre scrupule à creuser autour d’elles les dissidences et à aigrir les ressentimens.

Les amis de Mme Swetchine, ceux qui partageaient, ceux même qui défendaient avec le plus d’éclat ses convictions peuvent dire s’ils étaient retenus près d’elle par l’attrait d’une sympathie trop complaisante ou d’un enthousiasme adulateur. Ces amis appartenaient aux nuances les plus diverses de la politique française : le plus grand nombre, les plus anciens surtout, sortaient des rangs de ces héritiers du passé à qui le droit et la patrie apparaissent à jamais incarnés dans une seule famille ; mais une minorité, qui n’était pas moins bien accueillie, avait fait en 1830 une plus large part au devoir de revendiquer des droits acquis et la foi jurée. Puis, quand vint en 1848 le grand ébranlement qui secoua les fondemens de toutes les sociétés, quelques-uns se laissèrent entraîner par l’expansion en apparence irrésistible des principes démocratiques, d’autres suivirent sans résistance le reflux de la marée qui les portait sous la main du pouvoir absolu. Le salon de Mme Swetchine a, pendant trente années, réuni tous ces contrastes ou vu passer tous ces changemens : presque tous les partis politiques ont pu y développer leurs principes ou y plaider leurs excuses ; il n’y a que leurs rancunes ou leurs colères qui n’ont jamais eu le droit d’en franchir le seuil. Elle n’a jamais permis ni aux vaincus les railleries qui font leur impuissante consolation, ni aux vainqueurs d’un jour les airs de hauteur et de triomphe. Plutôt que de supporter ce grain d’injustice et d’exagération qui est le sel des conversations politiques, Mme Swetchine se condamnait au plus grand supplice que puisse éprouver une maîtresse de maison : à la gêne, à l’ennui d’une soirée, à la bouderie de ses meilleurs amis, à la fuite momentanée de ceux qui ne pouvaient ni tolérer de partage, ni dominer leur impatience. Elle les a vus tous successivement, dans des bouffées d’irritation, accuser l’excès de son indulgence et les a laissés dire, persuadée que tôt ou tard chacun d’eux aurait besoin d’y recourir. Sur d’autres sujets, plus voisins de son cœur que la politique, sur la foi chrétienne, mobile de toutes ses actions et dont sa vie était le modèle, elle était sans doute moins facile. Pourtant là même, plus fervente qu’exaltée, elle n’a jamais cédé à’ la tentation de s’enfermer dans un cénacle d’élus. Même aux champions d’une cause qui lui semblait sacrée, elle ne reconnaissait pas d’avance toutes les vertus.