Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/903

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la forme, nulle inertie non plus, nulle fausse grandeur où la vie s’anéantisse, où la vérité se dérobe. Les traits du visage, pensifs et attristés sans grimace, sont exempts aussi de cette régularité impassible dont on a coutume de faire l’enseigne d’un goût sévère ou le masque officiel de la beauté. Dans les contours et dans le dessin intérieur du corps, même discernement, même adresse savante à combiner l’étude de la nature avec la mémoire des grands monumens de l’art. En modelant cette figure nue dont aucun accessoire ne détermine le caractère individuel ou national, dont le type même n’est expressément ni grec, ni romain, et où les souvenirs de l’antique n’interviennent qu’à titre de renseignemens généraux et de secours, M. Perraud a voulu nous montrer et nous montre en effet, au lieu d’une curiosité archaïque, une image vraisemblable, au lieu d’une académie un homme ; mais cet homme n’est pas seulement un beau corps, c’est un corps que l’âme habite, un cœur souffrant des maux qui nous sont communs à tous, des pensées qui sont à la fois le privilège et le tourment de l’humanité. Il y a certes un sérieux mérite à élever ainsi l’imitation de la réalité à la dignité d’une image idéale. Dans le temps où nous vivons surtout, ce n’est pas un médiocre honneur pour un artiste que d’avoir osé aborder une pareille entreprise et de l’avoir aussi heureusement menée à fin[1].

La statue sculptée par M. Thomas diffère de l’œuvre de M. Perraud en ce sens qu’il s’agissait ici non plus de nous faire pressentir une idée, mais au contraire de nous représenter un personnage ayant son nom et son histoire. Elle se rapproche du travail dont nous venons de parler par la noblesse sans emphase et par la pureté du goût. Le Virgile de M. Thomas rappelle un peu, quant à l’attitude et à l’effet général de l’ajustement, la figure du poète dans la belle composition de M. Ingres : Tu Marcellus eris ; mais, tout en constatant le fait, nous ne prétendons pas y puiser un argument contre la valeur de l’œuvre du statuaire. Nous serions tenté plutôt de reprocher à celui-ci une certaine aridité dans l’expression de la tête de son Virgile, et aussi quelque exagération dans la saillie des plans du front entre les deux sourcils. Ce seraient là au surplus des chicanes plutôt que des critiques. Il convient d’autant moins de s’y arrêter que l’examen des autres parties de la statue n’autorise que l’éloge, et que l’élégance virile de l’ensemble, la fine correction du style dans les détails de cette figure et jusque dans les accessoires jetés à ses pieds, en mémoire des Géorgiques et de l’Enéide, annoncent un talent déjà sûr de lui-même, et qui, s’il doit se perfectionner encore, n’a pas besoin des avis d’autrui.

  1. On peut voir sur l’ensemble des travaux de M. Perraud la Revue du 1er juin.