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lois immuables de la statuaire et les exigences particulières du sujet, l’artiste a su obéir aussi à ses inspirations propres, à son désir de nous montrer autre chose qu’une contrefaçon de l’art et des formes classiques. Fort différent en cela de la plupart des statuaires contemporains, qui, interprétant à contre-sens le mot d’André Chénier, se dispensent des « pensers nouveaux » pour s’assimiler seulement les habitudes extérieures de leurs modèles, il ne se contente pas de copier « des vers antiques » et de les rééditer au bout de vingt siècles. Il ne répudie pas, comme tant d’autres, la langue et les idées de son temps pour se condamner à l’imitation mécanique, à la fabrication archaïque d’un texte. Que dirait-on de poètes français qui prétendraient n’écrire qu’en latin, et renouveler en plein dix-neuvième siècle l’entreprise tentée au dix-septième par les René Rapin et les Commire ? C’est là pourtant, ou peu s’en faut, ce que font les sculpteurs de notre époque. Ils s’affublent de classicisme, ils étalent une érudition banale, espérant déguiser ainsi l’impuissance de leur imagination ou en justifier la paresse. Ils ne réussissent en définitive qu’à nous fatiguer de leurs redites et à remplacer par des formules pédantesques l’expression du vrai et du beau.

Comme M. Cavelier, M. Perraud est du petit nombre des statuaires qui s’appliquent à concilier la sincérité avec la science, le respect des traditions avec l’intelligence de nos besoins actuels. La figure que lui a inspirée un vers de Pétrarque :

Ahi ! null’ altro che pianto al mondo dura,


cette figure qui semble personnifier à la fois la méditation et la douleur, procède très évidemment de l’antique par les caractères des formes et du style. Par le sentiment même, par la portée morale des intentions, elle a une signification neuve et vraiment moderne. Tout n’est pas complètement imprévu sans doute dans cette figure de jeune homme assis la tête basse, les bras immobilisés par les doigts qui s’entre-croisent, la jambe gauche repliée sous la jambe droite, tandis que celle-ci, portée un peu en avant, diversifie les lignes générales sans leur ôter une expression de simplicité morne et d’affaissement. L’idée même de représenter le Désespoir sous ces dehors plutôt attendris qu’irrités n’appartient pas tout entière au sculpteur, et l’on pourrait en retrouver les premiers symptômes dans les travaux de quelques peintres contemporains ; mais ce que M. Perraud ne doit certainement qu’à lui-même, c’est l’habileté singulière et le goût avec lesquels il a su approprier cette donnée élégiaque aux conditions épiques de la statuaire, ce sentiment chrétien des misères humaines aux exigences toutes païennes d’un art qui, en dehors du beau, n’existe pas. Nulle gentillesse dans l’expression compromettant la majesté nécessaire