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Les symptômes d’habileté purement matérielle que révèle, à quelques exceptions près, l’ensemble des travaux appartenant à la peinture de genre se retrouvent plus accusés encore dans les tableaux de paysage proprement dits, dans ces innombrables vues, études, lisières de bois ou pâturages qui peuplent les salles du palais des Champs-Elysées. Nulle part autant qu’ici une certaine science n’est générale ; les perfectionnemens introduits depuis quelques années dans la pratique ne permettent plus à personne d’empâter timidement un terrain ou une muraille, d’hésiter quant aux moyens techniques de figurer un tronc d’arbre ou le toit d’une chaumière. Les secrets du coloris eux-mêmes sont aujourd’hui si bien divulgués qu’on ne songe guère à distinguer entre ceux qui les ont devinés les premiers et ceux qui ont profité de la découverte, entre les prédécesseurs de M. Daubigny par exemple et ses rivaux actuels dans l’art, assez modeste d’ailleurs, d’affirmer les rapports des tons sans se préoccuper du reste, — poésie ou banalité du site, finesse ou incorrection du dessin. D’autres, moins indifférens, il est vrai, à ces conditions, choisiront dans la nature quelque thème où le charme de l’effet suppléera à l’indigence des lignes, et, les souvenirs de M. Corot aidant, ils peindront agréablement, comme M. Chintreuil, un Champ de pommes de terre, ou, comme M. Lavieille, une Matinée des premiers jours de mai dans la campagne de Villers-Cotterets. D’autres enfin, — M. Bataille dans son Crépuscule, M. Blin dans un paysage intitulé Solitude, M. Nazon dans deux paysages en hauteur, et M. de Knyff dans son Barrage du moulin de Champigny, — laisseront pressentir certaines velléités de style, tout en se conformant docilement d’ailleurs aux humbles doctrines qui régissent notre école de paysage. Bien peu chercheront à subordonner au sentiment les progrès accomplis dans le mode d’exécution ; bien peu s’interrogeront en face de la nature sans avoir une réponse toute prête dans leur mémoire, dans les habitudes générales de l’art moderne, dans les recettes fournies par autrui.

Parmi ces rares paysagistes qui s’efforcent de donner à leurs travaux une signification et un intérêt au-dessus de l’imitation littérale ou des artifices de la pratique, MM. Français, Busson et Desjobert nous semblent à la fois les mieux inspirés et les plus habiles. En choisissant des thèmes pittoresques aussi simples que les deux vues entre autres qu’il a intitulées Sous les pommiers et une Prairie au bord de la Marne, M. Desjobert n’a prétendu certes ni afficher le dédain des réalités familières, ni s’armer d’un pinceau héroïque pour peindre les arbres d’un verger ou l’herbe d’un pâturage ; mais il n’a eu garde non plus de méconnaître les conditions auxquelles ces modestes idylles devaient emprunter un charme particulier