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tant d’images serviles, tant d’effigies de la vérité brute ? Nous avons bien assez de la photographie pour nous prémunir contre l’idéal : à quoi bon renouveler à tout instant la leçon ? N’est-il pas temps, par exemple, que M. Meissonier et ses imitateurs rajeunissent quelque peu leurs titres au succès, et ces types déjà tirés à bien des exemplaires, un Peintre, un Musicien, un Amateur de Curiosités ? Ne faudrait-il pas au moins que le choix d’un effet imprévu, une intention neuve dans la pratique, cette aisance et cette souplesse de pinceau qui relèvent dans les petits tableaux hollandais ou flamands l’humilité des inspirations et en corrigent la monotonie, vinssent racheter ici ce que le sujet a en soi d’insignifiant ou de banal ? Même là où il s’agit seulement de figurer sur la toile une scène domestique ou une scène d’estaminet, un coin de champ ou un groupe d’animaux, l’imitation littérale est aussi loin de suffire que, dans le domaine littéraire, la transcription textuelle du fait. Terburg, Ostade, Ruysdaël, Paul Potter et tant d’autres nous intéressent bien moins aux objets qu’ils nous montrent qu’au sentiment éprouvé par eux à propos de ces objets, et c’est un assez mince mérite, c’est en tout cas un stérile enseignement que celui qui consiste tout entier dans la représentation des choses, telles que nous avons su déjà les voir nous-mêmes et les apprécier de nos yeux.

Quelles que soient en général ses habitudes plus humbles que de raison, notre école compte pourtant plusieurs talens chez lesquels l’étude assidue de la réalité n’exclut pas l’expansion du sentiment personnel et la recherche d’un art au-dessus des contrefaçons mécaniques. Le Salon de 1859 nous révélait ce qu’il y a dans la manière de M. Breton de sincérité profonde et de goût en même temps. Bien que les tableaux exposés cette année par l’artiste n’aient pas la même importance que les toiles auxquelles il avait dû, il y a deux ans, un si honorable succès, ils n’en confirment pas moins ce que nous avaient appris déjà les Glaneuses et la Plantation d’un Calvaire. M. Breton est véritablement un peintre, un peintre de bonne race, en ce sens que l’instinct a autant de part au moins que la science à l’éloquence de ses ouvrages. Sans nulle prévention systématique, mais avec une très ferme volonté de se consulter lui-même et de traduire ses impressions dans la langue qui lui est propre, il étudie la nature assez attentivement pour ne rien ignorer des détails qui préciseront la ressemblance, assez librement toutefois pour ajouter à cette ressemblance extérieure l’intention morale, la vie secrète d’où résultera la physionomie du portrait. Les Sarcleuses surtout expriment ce mélange d’imagination et de véracité qui donne aux œuvres de M. Breton une signification particulière, bien qu’elles ne prétendent en apparence éveiller en nous qu’un souvenir.