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prisonniers furent expédiés à Naples. La ville redevint folle de joie comme au jour de l’entrée de Garibaldi ; pendant vingt-quatre heures, on n’entendit que la détonation des boites, des canons, des fusils et des pistolets : on en était assourdi. Si les Napolitains avaient brûlé à propos le quart de la poudre qu’ils bridèrent si sottement, ils eussent été libres depuis longtemps.

Le 4 novembre, par une matinée froide qu’aigrissait encore un méchant vent de nord-est, on se réunit de nouveau sur la place de Saint-François-de-Paule, et Garibaldi distribua lui-même la médaille d’argent que la ville de Palerme avait fait frapper en l’honneur de ceux qui, les premiers, mirent le pied en Sicile. À l’heure du débarquement, ils étaient mille soixante-douze ; le 4 novembre, il en restait quatre cent cinquante-sept. Garibaldi prononça un discours, ou, pour parler plus exactement, il lut quelques paroles étudiées avec soin ; il y était question du passé et de l’avenir, mais les noms de Rome et de Venise n’étaient même pas prononcés. Jamais cependant il n’avait laissé échapper une occasion de rappeler aux Italiens aies deux cités esclaves. » En ce moment, il ne se sentait déjà plus le maître ; il comprenait que, dans un pays légitimement possédé par Victor-Emmanuel, il n’avait plus le droit de donner l’essor à toutes ses espérances. Du reste il avait déjà congédié son état-major, et lui-même il se préparait à partir.

Le 5 novembre, tous les garibaldiens qui étaient casernés à Naples reçurent ordre de se rendre à Caserte, où le roi devait les passer en revue ; pendant toute la journée du 6, ils l’attendirent vainement : il ne daigna point passer devant nos bandes, afin sans doute de ne pas mécontenter son armée. Du reste la mesure fut habile ; on retint ainsi toute l’armée méridionale à Caserte, et le lendemain, le 7, le jour de l’entrée du roi, quelques officiers des casaques rouges assistèrent seuls du haut d’un balcon à la cérémonie. La troupe piémontaise et la garde nationale faisaient la haie ; de soldats garibaldiens, nulle trace. Ceux qui avaient conquis la Sicile, délivré les Calabres, dispersé les troupes bourboniennes, pris Naples, défendu à outrance leurs positions devant Capoue et gagné seuls la bataille du Vulturne, n’assistaient point au jour du triomphe. C’était peut-être dans l’ordre des choses. Ce jour d’ailleurs n’était point beau, il déshonorait le ciel italien. Il pleuvait à torrens ; un gros vent d’ouest poussait sur la ville d’incessantes rafales ; dans le port, les navires étaient agités par la houle jusqu’à tremper leurs vergues dans la mer. Tout était triste et froid. On eût dit qu’une fée maligne avait frappé de sa baguette tous les préparatifs glorieux : rien n’était terminé ; les statues sans tête tendaient à travers les rues inondées leurs mains symboliques où manquaient les drapeaux ; les toiles peintes, arrachées par