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au moment où elle vient d’assassiner Marat, permet de mêler des éloges aux critiques que légitimeraient d’ailleurs dans la représentation d’un pareil drame certains raffinemens pittoresques, certaines coquetteries de l’effet. La Charlotte Corday est un des tableaux les plus remarqués au Salon. Sans compter l’intérêt inhérent au sujet lui-même, ce succès s’explique et se justifie par l’aspect imprévu de la scène, par l’effroi finement rendu de l’héroïne en face du meurtre accompli, par l’expression en toutes choses d’une pensée délicate et d’un goût ingénieux. La délicatesse, le goût, voilà des qualités pour le moins inattendues dans une scène de cet ordre, d’étranges mots à accoler à ces souvenirs terribles et au nom de Marat. Nous ne saurions toutefois en employer d’autres pour louer le travail de M. Baudry et pour en indiquer les mérites. Tout dépend d’ailleurs du point de vue auquel l’artiste s’est placé et de la façon dont il a envisagé son sujet. Il n’a prétendu ni engager la lutte avec le chef-d’œuvre où David a représenté l’impure victime ennoblie par la majesté de la mort, ni peindre une Judith aux membres et à la foi robustes sous le costume d’une jeune fille du dernier siècle. Il a voulu nous faire pressentir plutôt que nous montrer le cadavre, et mettre en pleine lumière, non pas un acte d’héroïsme biblique, mais l’expression d’une émotion humaine, non pas la vengeance satisfaite d’elle-même et se contemplant dans son œuvre, mais une femme chancelant au spectacle de son propre courage et de ce sang qu’avait voulu sa main. La Charlotte Corday est donc jusqu’à présent une exception et, nous nous empressons de le reconnaître, une exception heureuse dans la manière de M. Baudry. Bien qu’ici encore on remarque quelque abus du moyen, bien que certains détails d’exécution trop recherchés amaigrissent le style ou l’enjolivent assez mal à propos, les intentions ont au fond plus de justesse et en tout cas plus de nouveauté que dans les tableaux où l’artiste prétend nous séduire à la façon des peintres du XVIIIe siècle et prouver seulement sa dextérité.

L’ambition de M. Chaplin et sa foi dans les exemples que nous a légués l’art français au temps de Louis XV ne paraissent pas avoir varié, même légèrement, comme les doctrines de M. Baudry. Pour lui, les secrets de la grâce, du goût, de l’imagination dans le dessin et dans le coloris, demeurent tout entiers aux mains des maîtres qu’il avait consultés d’abord. Aujourd’hui comme à l’époque où il peignait ces Premières roses et ces Roses d’automne que la lithographie n’a que trop popularisées, M. Chaplin se montre le disciple convaincu d’une tradition au moins futile, et, sans parler de plusieurs peintures allégoriques récemment exposées ailleurs, les toiles qu’il a envoyées au Salon, — un Groupe de trois enfans surtout, — attestent