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calcul, refroidissent ici ce que la passion devait expressément vivifier, et laissent presque sans accent une scène dont l’esprit était tout entier dans la puissance et dans la fermeté du faire. Hâtons-nous d’ajouter que dans une scène fort différente, où l’énergie eût été aussi inopportune qu’elle nous semblait nécessaire ici, M. Cabanel s’est acquitté de sa tâche avec un plein succès. Le Poète florentin est un charmant tableau, d’une ordonnance très neuve, d’une exécution parfaitement conforme à la délicatesse de l’invention. Parmi les œuvres de même sorte qui figurent au Salon, on ne saurait en citer une où se trouvent aussi bien résumées les conditions de ce genre qui en peinture participe à la fois de l’histoire et de l’anecdote, et qu’on pourrait, en empruntant un mot à la langue musicale, appeler de mezzo-carattere. Sans avoir cette valeur exceptionnelle, les portraits qu’a exposés M. Cabanel méritent au moins d’être comptés parmi les meilleurs. Ils attestent des qualités que l’artiste laisse seulement entrevoir ailleurs, et, contrairement à la Nymphe, où les périphrases ne laissent pas d’embarrasser le style, ils se recommandent par la simplicité de la manière, par la franchise de l’expression.

En regard de l’école à laquelle se rattachent plus ou moins directement les peintres que nous venons de nommer, une autre phalange d’artistes, aussi nombreuse peut-être, représente au Salon des doctrines et un genre d’archaïsme auxquels les souvenirs de l’antiquité et même les exemples étrangers n’ont aucune part. Nous voulons parler de ces disciples de la tradition française au dernier siècle, de ces réformateurs mal avisés qui, en s’efforçant de la restaurer, n’arriveront dans un temps donné qu’à susciter, sinon les sages colères d’un autre David, au moins les vertus hypocrites et les froides violences de l’esprit ultrà-classique. La mode s’est faite complice de ce faux progrès, bien qu’elle l’encourage plus encore par une admiration exagérée pour les modèles que par une sympathie avouée pour les imitateurs. On sait quelle faveur systématique rencontrent aujourd’hui les monumens, quels qu’ils soient, de l’art appartenant aux règnes de Louis XV et de Louis XVI. À ne parler que de la peinture, le nombre est grand parmi nous des hommes à la dévotion facile qui s’arrêtent pieusement devant Pater ou Fragonard, qui s’inclinent devant Natoire et s’agenouillent devant Boucher. Pourquoi les artistes de notre temps se mettraient-ils sur ce point en guerre ouverte avec nos goûts ? Puisque nous prenons au sérieux tout ce qui vient d’une époque où l’on trouvait piquant de représenter les princesses d’Orléans en pèlerines et Mlle de Charolais en frère quêteur, pourquoi M. Baudry se serait-il refusé la fantaisie de déguiser en petit saint Jean-Baptiste un enfant dont il avait à peindre le portrait ?